(...) Pie XII qui fut pape de 1939 à 1958 est présenté dans l’exposition sur l’histoire de l’holocauste comme ayant refusé de prendre une part active dans le soutien aux victimes du génocide nazi.
Dans la légende de la photo concernant Pie XII au mémorial de Yad Vashem, on peut lire :
"La réaction de Pie XII à l'égard du massacre des Juifs pendant la période de l'holocauste est controversée (...). Bien qu'il ait été informé au Vatican du massacre des Juifs, le pape n'a pas protesté, ni par oral, ni par écrit (...). Même lorsque des Juifs ont été déportés de Rome à Auschwitz, le pape n'est pas intervenu (...). Il a maintenu une position de neutralité sauf à la fin de la guerre où il a lancé un appel au nom des gouvernements de Hongrie et de Slovaquie. Son silence et son absence de directives ont contraint le clergé en Europe à décider de façon indépendante de l'attitude à adopter face à la persécution des Juifs".
Le texte qui accompagne la photo précise que:
"Pie XII a écarté une lettre encyclique de dénonciation du racisme et de l'antisémitisme préparée par son prédécesseur Pie XI (...). Alors que des informations sur l'extermination des Juifs arrivent au Vatican, le pape ne proteste ni oralement, ni par écrit. En décembre 1942, il s'abstient de signer la déclaration des Alliés condamnant l'extermination. Quand les Juifs de Rome sont déportés à Auschwitz, le pape n'intervient pas". (...)
Panneau consacré à Pie XII à Yad Vashem
Cette polémique prend de l’ampleur alors que le processus de béatification de Pie XII se poursuit. De nombreux historiens ont souligné la passivité et le silence fasse à la Shoah de Pie XII, tandis que le Vatican a toujours mis en avant ses interventions en faveurs des Juifs à cette période.
Le Vatican, qui persiste à contrôler rigoureusement les archives de la période, continue de distiller périodiquement des informations choisies qui témoignent de prises de positions ponctuelles et limitées du souverain pontife, comme une circulaire (...) en date du 25 octobre 1943, date à laquelle la plus grande partie des Juifs polonais, par exemple, avaient déjà été assassinés. Mais cette circulaire qui est, semble t-il, adressée au clergé italien demande d’offrir "l'hospitalité aux Juifs persécutés par les nazis dans tous les instituts religieux et d'ouvrir les instituts et aussi les catacombes".
La Commission mixte d'historiens juifs et catholiques, constituée en 1999 et chargée d'examiner les archives du Vatican couvrant la période la Seconde Guerre mondiale, a annoncé, le 20 juillet 2001, la suspension de ses travaux en mettant en cause le refus du Vatican d'ouvrir plus largement ses archives : "Nous ne voyons plus aucun moyen à présent de conduire notre rapport final et estimons que nous devons suspendre notre travail".
La polémique concernant l’attitude de Pie XII n’est pas récente. Elle a pris de l’ampleur à partir de 1963 lorsque le pape a été mis en cause par la pièce Le Vicaire du dramaturge allemand Rolf Hochhuth qui accusait le souverain pontife d’avoir fait passer, avant la morale chrétienne et son devoir, ses sentiments germanophiles, sa méfiance envers les Juifs et sa haine du communisme, jusqu’à le dissuader de condamner publiquement et clairement l'entreprise génocidaire des nazis.
Les motivations de Rolf Hochhuth font elles-mêmes l'objet de polémiques, quant au rôle éventuel du pouvoir communiste est-allemand dans l'écriture de la pièce. [Notons ce paradoxe: alors qu'il dénonce le comportement de Pie XII, Rolf Hochhut est un défenseur et un ami de longue date de l'écrivain négationniste britannique David Irving.]
Mais toujours est-il qu'un an après le procès Eichmann, le monde avait pris conscience de la singularité de la Shoah. Le secret qui entourait l’action du Vatican pendant la guerre commençait à être mis en question.
Monseigneur Pacelli, le futur Pie XII, qui depuis 1901 travaillait dans les arcanes de la diplomatie Vaticane, fut nommé en 1917 nonce en Bavière puis en 1920 nonce en Allemagne. Devenu cardinal en 1929, il a signé le concordat avec l’Allemagne en 1932.
Les années de la montée du nazisme avaient suivi en Allemagne les années de troubles et de tentatives de révolutions spartakistes et communistes. Le nonce Pacelli fut-il impressionné par ce climat ? Sa crainte du bolchevisme l’a-t-elle porté à des compromis et des silences envers les nazis dès cette période ? Le futur pontife et toujours nonce en Allemagne a-t-il influencé les évêques Allemands qui le 28 mars 1933 levaient certaines préventions qui existaient auparavant contre les nazis et permettent aux catholiques "d’être loyaux envers les autorités légales".
Toujours est-il que Pacelli signe en juillet 1933 un nouveau concordat avec von Papen, "le ministre des affaires étrangères" du Führer. Ce concordat, qui ne fut d’ailleurs pas appliqué par les nazis, était toutefois une spectaculaire victoire diplomatique et morale pour Hitler.
A gauche Franz von Papen, au centre Mgr Pacelli
On sait que le pape précédent, Pie XI, sur la fin de sa vie, et devant les menaces nazies et communistes contre la liberté religieuse publia la célèbre encyclique Mit Brennender Sorge (Sur un Sujet Brûlant) qui condamnait l’idéologie nazie en termes clairs : "Celui qui sépare la race, la nation, le gouvernement (…) de toutes les valeurs humaines de référence et en fait des normes supérieures, plus hautes que les valeurs religieuses et les révèrent avec idolâtrie, pervertit et détruit l’ordre recommandé par Dieu (…)". L’encyclique condamnait aussi le néo-paganisme des théories raciales, mais s’abstenait toutefois de dénoncer la forme constitutionnelle du régime nazi.
L’attitude de Mgr Pacelli, qui devient Pie XII en mars 1939, n’est pas exempte d’interventions ponctuelles en faveur des Juifs, limitées à la sphère diplomatique. Ainsi l’obtention de 1000 visas effectifs pour le Brésil en 1939, après le pogrome de la Nuit de Cristal.
Mais le Saint-Siège refusa de répondre aux sollicitations du Grand Rabin de Palestine qui lui demandait en mai 1940 d’intervenir en faveur de Juifs réfugiés en Espagne et menacés d’expulsion vers l’Allemagne.
Le pape était parfaitement informé du développement des persécutions puis du génocide nazi. Même le secret qui entoure encore nombre d’archives ne saurait obscurcir des faits établis.
Dès le printemps 1941, le cardinal Theodor Innitzer de Vienne avisait Pie XII de la déportation des Juifs. Le chargé d’affaires du Vatican en Slovaquie, Giuseppe Borzio envoyait en octobre de cette année une note à Rome qui explicitait le massacre systématique des Juifs et le même Borzio télégraphiait à nouveau en mars 1942 à propos de la déportation de 80 000 Juifs.
Le 18 septembre de cette même année, Mgr Montini, le futur Paul VI, écrivait que le massacre des Juifs atteignait des proportions effroyables. Un curé polonais informait le mois suivant que selon ses estimations plus de deux millions de Juifs avaient été tués.
Pourtant Pie XII, au même moment, déclinait les demandes d’interventions répétées du Grand Rabin de Palestine et des gouvernements américain et anglais. Au représentant américain Myron Taylor, il était répondu qu’il n'était pas possible de vérifier les informations de massacres à grande échelle.
La déchéance morale à laquelle Pie XII a conduit le Vatican est donc considérable, particulièrement par le refus de s’associer à une protestation publique à laquelle l’invitaient les Alliés.
Osborne Francis d’Arcy, le représentant britannique auprès du Saint-Siège, soulignait auprès du Secrétariat d’État du Vatican, en charge de la diplomatie combien: "La politique de silence envers des crimes commis contre la conscience du Monde, implique nécessairement une renonciation à toute autorité morale et en conséquence entraîne une atrophie de l’influence du Vatican."
En France, Pétain s’étant enquis de savoir si le Vatican objecterait à l’instauration des lois anti-juives, se vit répondre par son ambassadeur au Saint-Siège, qu’ayant interrogé le Secrétariat d’État, l’Église condamnait certes le racisme, mais n’objectait pas à toutes mesures contre les Juifs.
La protestation de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, "Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes... Tout n'est pas permis contre eux... Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier", ne fut pas relayée par le Vatican.
Plusieurs autres exemples en Allemagne, en Bulgarie et en Italie notamment vont dans le même sens et créent un faisceau de faits et de témoignages qui vont dans le sens de l’exposition de Yad Vashem.
Quelles étaient donc les raisons de ce silence ?
Différents motifs, pour la plupart dénués aussi bien de valeurs morales que d’efficacité pratique ont pu funestement se conjuguer, et sont parfois invoqués encore aujourd’hui.
- L’idée que pour sauver les victimes il fallait agir discrètement,
- La crainte qu’en parlant haut et fort les persécutions ne feraient que s’accentuer,
- La volonté de Pie XII d’intervenir comme médiateur entre les belligérants pour mettre fin à la guerre, ce qui lui imposait de son point de vue de rester neutre,
- La crainte d’entraîner des persécutions contre les catholiques allemands,
- Le concept de séparation de l’Église et de la politique,
- La peur de favoriser une victoire communiste en Europe de l’Est et au-delà,
- La crainte que la Gestapo ne s’en prenne au pape lui-même.
Il est probable que ces différentes raisons n’aient donc servi que de prétexte à une politique lamentable d’indifférence et au naufrage moral d’un pape qui ne saurait être béatifié tandis que l'évidence de la demande d'ouverture complète des archives s'impose.
Dans une lettre à l'évêque de Berlin von Preysing qui passait pour un adversaire du nazisme, le 30 avril 43, Pie XII se révèle un peu : "Seul le recours à la prière devant Dieu qui voit tout devant le tabernacle du Seigneur permet de trouver la force morale pour surmonter psychiquement de tels actes". Auparavant Pie XII signale que jour après jour il est averti "d'actes inhumains qui n'ont rien à voir avec les techniques de la guerre"; il parle aussi de "la nécessité de protéger soigneusement la Sainte Eglise contre les conséquences" [de la guerre]. Dans cette lettre Pie XII conseille la réserve "face aux dangers de représailles et de pressions".
François Mauriac dans sa préface au livre de Léon Poliakov Le Bréviaire de la Haine (1951) a remarquablement averti: "Nous n'avons pas eu la consolation, d'entendre le successeur du Galiléen, Simon Pierre, condamner clairement, nettement et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables frères du Seigneur".
Dès 1950, en termes plus poétiques, Léo Ferré chantait :
"Monsieur Tout-Blanc
Vous enseignez la charité
Bien ordonnée
Dans vos châteaux en Italie
Monsieur Tout-Blanc
La charité, c'est très gentil
Mais qu'est-ce que c'est ?
Expliquez-moi (....)
Monsieur Tout-Blanc
L'oiseau blessé que chaque jour
Vous consommiez
Étaient d'une race maudite
Monsieur Tout-Blanc
Entre nous dites, rappelez-vous
Y a pas longtemps
Vous vous taisiez
Pendant c'temps-là moi j'vivais à Aubervilliers
Ça n'était pas l'époque à dir' des rosaires
Y avait des tas d'questions qu'il fallait s'poser
Pour durer faut lutter mon p'tit père (…).""
Texte repris du site Autour de la Liberté
- L'indifférentisme de Pie XII entre l’agresseur et la victime et les leçons à en tirer, M. Macina
- Dirk Verhofstadt publie un livre sur Pie XII et la Shoah
- Dirk Verhofstadt écrit sur Pie XII et l'extermination des Juifs