Dirk Verhofstadt vient de consacrer un livre au rôle du Pape Pie XII face aux lois raciales, la Shoah et l'Eglise elle-même : Pius XII en de vernietiging van de Joden (Pie XII et la destruction des Juifs). Alors que le Vatican envisage sa béatification, cet ouvrage démontre à quel point le manque de fermeté du Pape envers le régime nazi ne justifie en rien cet honneur.
Extraits de l'entretien que l'auteur a accordé à Christian Laporte de La Libre Belgique.
"Mais depuis le début des années 1960 et la pièce de Rolf Hochhuth, le Vatican n'a cessé de dire qu'il ne s'était pas tu...
Oui, mais a-t-il parlé suffisamment? Ne s'est-il pas imposé le silence pour des raisons stratégiques? Il aurait pu éviter l'ampleur du drame en prenant davantage position. Car même dans la SS, il y avait encore 23 pc de catholiques sans parler des milliers de croyants dans la Wehrmacht.
Le plus grave est que ces catholiques nazis n'ont pas été freinés mais encouragés par un grand nombre d'évêques. Sur le front de l'est, il y avait presque 1000 aumôniers aux côtés des troupes. Non pas pour les ramener aux principes du message chrétien mais pour les encourager à poursuivre le combat et à le gagner au nom du régime nazi. Les cardinaux savaient aussi parfaitement ce qui se passait: un rapport de fin novembre 41 de Mgr Faulhaber (Munich) qui était un proche du pape Pie XII parle explicitement de la question juive et des atrocités commises par la SS (les Einsatzgruppen) en Russie. Bien sûr, pour se justifier le haut clergé et l'Eglise en général a invoqué la lutte contre le bolchevisme mais il persista dans l'erreur jusqu'au bout: alors qu'Hitler est mort, le cardinal Bertram a demandé dans les jours suivants à ses prêtres de célébrer une messe de requiem afin que "le fils du Tout-Puissant" comme il appelait Hitler puisse être accueilli au paradis!"
"Pensez-vous que s'il était intervenu avec force, cela aurait pu changer la face de la guerre ?
Il y a quand même une série de constats frappants: Hitler n'avait pas du tout envie d'être affaibli sur son front intérieur et il y lâcha du lest à plusieurs reprises. Ainsi suite à la dénonciation par Mgr von Galen des massacres contre les handicapés, il a fait arrêter ce programme. Il a dû compter alors avec la réaction de nombre de mères de famille mais aussi de certains de ses soldats, des pères de ces enfants... Il a aussi fait interrompre le retrait des crucifix des écoles bavaroises en 1941. De même Pie XII n'a rien fait là où il aurait pu agir avec une certaine force: à propos de la Shoah hongroise qui intervient très tard dans le déroulement de la Seconde Guerre en 1944, il n'est vraiment intervenu que 21 jours après la libération de Rome par les Alliés le 4 juin 1944. Entendez qu'il n'y avait plus de danger à ce moment-là de le voir pris en otage ou de voir le Vatican bombardé comme on l'a parfois dit à cette époque. Pire, le pape Pie XII fut le seul chef d'Etat avec Hitler à recevoir en audience le dictateur croate Ante Pavelic. J'en suis dès lors venu à faire un plus terrible constat encore: si le Pape était viscéralement adversaire du bolchevisme, il était aussi un adversaire résolu des démocraties libérales et il s'inscrivait dans le large courant de l'époque en faveur d'un Ordre nouveau qui sacrifiait également sans réels remords les hommes politiques catholiques et l'action des mouvements chrétiens."
"Bon, vous déplorez l'attitude de Pie XII mais que dire de celle des autorités alliées? Ne sont-ils pas autant coupables de ne pas avoir agi davantage?
(...) Il est incontestable que eux aussi savaient et qu'ils n'ont pas fait ce qu'ils auraient pu faire. Par exemple le refus d'aider les Juifs pendant la conférence d'Evian en 1938 et de bombarder les chemins de fer vers Auschwitz pendant l'été 1944. Mais d'un autre côté, il ne faut pas oublier qu'ils ont jeté des milliers de soldats dans les combats. Ils ont quand même pris leurs responsabilités dans le conflit. Par contre, du côté du Vatican, le Pape n'a jamais utilisé sa très haute autorité morale et n'a, à ma connaissance, jamais excommunié un nazi. Je ne suis pas catholique, je ne suis pas croyant mais la béatification de Pie XII m'interpelle car imaginez que l'Eglise finisse par s'y rallier eu égard au passé de guerre. Etait-ce alors la volonté de Dieu de laisser commettre ces exactions? Ce serait une nouvelle gifle pour les Juifs. L'on pouvait aussi penser que ses successeurs auraient admis ce funeste manque de responsabilités. Mais là aussi, la déception a été grande. Ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI qui en ont eu l'occasion en se rendant à Auschwitz n'ont été aussi loin, le pape allemand laissant même croire que ce n'était qu'une minorité de criminels de son pays d'origine qui avait permis que l'on commette la Shoah!"
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Dirk Verhofstadt, Pius XII en de vernietiging van de Joden, Houtekiet, 2008
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3 commentaires :
Le rapport de Mgr Faulhaber ou il parle explicitement de la question juive et des atrocités commises par la SS (les Einsatzgruppen) est de 25 novembre 41 (et pas 42).
Merci d'avoir signalé l'erreur de date. Je viens de rectifier.
L’auteur semble mal connaître le fonctionnement de l’Eglise catholique et l’exercice de l’autorité spirituelle exercée par le pape. Il écrit, en effet :
« Comme chef spirituel de l'Eglise catholique, il avait une autorité absolue ; mieux, il aurait même pu se référer à son infaillibilité, mais il ne l'a jamais utilisée pour infléchir le cours des événements. »
Or, les pontifes romains ne recourent à l’exercice de l’infaillibilité qu’en matière de définition dogmatique.
Plus sérieuse est l’erreur historique qui attribue à Pie XII la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, alors qu’elle fut l’œuvre d’un de ses prédécesseurs, le pape Pie IX, et ce en 1854, soit près d’un siècle avant la fin du pontificat de Pie XII. M. Verhofstadt semble avoir confondu avec la définition, par Pie XII, du dogme de l’Assomption de la Vierge Marie, en 1950.
(Voir mes remarques dans l’article de Christian Laporte, de la Libre Belgique : "Pie XII avait aussi opté pour "l'Ordre nouveau". A propos d'un nouveau livre", mis en ligne sur le site de l’UPJF).
Par ailleurs, un professeur d'histoire de l'Eglise moderne et contemporaine de l'Université pontificale du Latran (Rome) considère que « Voir en Pie XII un adepte des régimes fascistes - voire nazis - est une grave contrevérité historique ».
(Voir : Philippe Chenaux, Pie XII face à la Shoah : http://www.upjf.org/actualitees-upjf/article-14890-145-7-pie-xii-face-shoah-philippe-chenaux.html).
Menahem Macina
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