Norbert Elias (1897-1990), écrivain et sociologue allemand:
Notes sur les juifs en tant que participant à une relation établis-marginaux (extraits):
"C'est une expérience singulière que d'appartenir à un groupe minoritaire stigmatisé et, en même temps, de se sentir complètement inséré dans le courant culturel et le destin politique et social de la majorité qui le stigmatise. […]Norbert Elias par lui-même, 1990
Culturellement très lié à la tradition allemande, j'appartenais de par la structure de ma personnalité à un groupe minoritaire méprisé. Bien que je me fusse libéré de son signe distinctif le plus manifeste, à savoir la religion, le destin singulier de cette minorité - persécutée et méprisée en outre depuis des siècles -, c'est-à-dire le destin social du groupe, s'exprima de façon évidente dans mon comportement comme dans la conscience que j'avais de moi-même et dans ma pensée. […]
Quand j'étais enfant, je savais l'aversion et la haine que l'on éprouvait à l'égard des membres du groupe auquel j'appartenais, mais je n'avais aucune idée de leur ampleur. Mes parents et leurs amis ne m'en donnaient d'ailleurs aucune explication. Ils se sentaient allemands et cherchaient un peu à ne pas voir la réalité en face. L'antisémitisme apparaissait comme le fait d'une minorité de gens, pour la plupart sans éducation ou peu cultivés, que l'on pouvait considérer avec une certaine condescendance, une sorte de contre-stigmatisation [...]
Dans des villes comme Breslau, les juifs allemands constituaient une société bourgeoise de second ordre; mais comme je l'ai déjà dit, ils ne se considéraient absolument pas eux-mêmes comme des hommes de second ordre. Le fait que beaucoup de juifs ne reconnussent manifestement pas l'infériorité qu'on leur attribuait, le fait qu'ils se fussent comportés souvent comme s'ils étaient des êtres égaux en droits provoquait par ailleurs l'irritation d'une part importante des membres de la majorité allemande. Ainsi s'explique en partie le reproche permanent de l'"impertinence juive", qui renforça certainement les sentiments d'animosité à l'égard des juifs."