lundi 26 décembre 2011

L'antisémitisme chez Kierkegaard et les stéréotypes anti-Juifs au Danemark

"Les Juifs sont un peuple de débauche, et leur synagogue n'est qu'une putain incorrigible. On ne doit montrer à leur égard aucune pitié, ni aucune bonté. Nous sommes fautifs de ne pas les tuer!" (Martin Luther)

"Voyez comment les mensonges et le meurtre sont intimement liés, tant chez les Juifs que chez Hitler. Les mensonges des Juifs ont crucifié le Christ. Les mensonges d'Hitler ont assassiné six millions de Juifs et il a quitté la vie en se suicidant." (Ole Jørgensen, Kristeligt Dagblad)

Peter Tudvad est un écrivain et philosophe danois spécialiste de Søren Kierkegaard (1813-1855) qui est sans doute le plus grand philosophe danois.  Un aspect peu connu du philosophe est son antisémitisme:

"Près de 200 ans après sa naissance et plus de 50 ans après l'Holocauste, nous [les Danois] n'aimons pas entendre dire qu'il était antisémite. Or il l'était. L'antisémitisme est, comme plusieurs autres points de vue controversés chez Kierkegaard, à la fois sobre et sous-exposé. Étapes dans le chemin de l'antisémitisme - Soren Kierkegaard et les Juifs (Stadier på antisemitismens vej – Søren Kierkegaard og jøderne) est le premier examen rigoureux de l'antisémitisme chez Kierkegaard sur la base de l'étude de toute son œuvre."
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Le blog Piety on Kierkegaard fait la critique d'un article paru dans un journal chrétien danois qui prend la défense de Kierkegaard en faisant appel à des stéréotypes profondément antisémites (Damning with Faint Praise: Bizarre Defense of Kierkegaard in Danish Newspaper). Nous en avons traduit une partie:

Juste au moment où l'on croyait que le débat autour du livre de Peter Tudvad allait vraisemblablement se calmer, voilà qu'il éclate à nouveau. Ole Jørgensen a publié la défense la plus bizarre de Kierkegaard jusqu'à présent. L'article de Jørgensen, Imprudence linguistique. Kierkegaard n'était pas un antisémite est apparue dans l'édition de lundi du Kristeligt Dagblad (un quotidien chrétien). Le titre pourrait laisser supposer que Dagblad Kristeligt est un journal relativement mineur. Ce n'est pas le cas. Rappelez-vous, le Danemark a une Eglise d'Etat. L'Église luthérienne danoise est l'Eglise officielle du peuple danois. Ceci explique sans doute la raison qui a poussé Jørgensen à défendre non seulement Kierkegaard mais aussi Martin Luther contre l'accusation d'antisémitisme. Luther, affirme-t-il, s'est limité à "fustiger les Juifs dans son ouvrage Les Juifs et leurs mensonges". A le lire, on pourrait être tenté de conclure que Jørgensen n'a pas lu Luther (ni Tudvad qui cite abondamment les écrits de Luther sur ​​les Juifs).

Ce n'est pas clair si Jørgensen a sérieusement étudié Luther sur cette question. Ce qui est clair, cependant, c'est que Jørgensen a, ce qu'on pourrait qualifier charitablement, des idées idiosyncratiques sur ce qui constitue l'antisémitisme. Il observe, par exemple, que loin d'être un antisémite, "Kierkegaard a même eu un Juif à son service pendant plusieurs années: Israël Levin, et celui-ci [...] a ainsi pu progresser, comme les Juifs savent si bien le faire, à la fois économiquement et socialement". Jørgensen ne semble pas comprendre qu'en généralisant la capacité toute particulière des Juifs à bien avancer économiquement et socialement pourrait être considéré comme de l'antisémitisme, ce qui est bizarre étant donné qu'une telle généralisation puise dans les stéréotypes concernant les Juifs et l'argent, et qu'aux yeux des Danois il n'y a pas de pire crime que l'ascension sociale.

Jørgensen observe qu'"il faut appliquer un autre terme que 'antisémitisme'" à Kierkegaard. "C'était bien davantage le zèle [religieux] de Kierkegaard", poursuit-il, "qui l'a amené à occasionnellement rappeler à l'ordre [lægge mundbidslet på] les Juifs effrontés [frække]."


Ce n'est pas seulement Kierkegaard, ou même Luther, qui a estimé nécessaire, selon Jørgensen, de "fustiger", ou de "châtier" les Juifs. Le Christ lui-même, observe Jørgensen, "n'y va pas de main morte" (der lægges virkelig ikke fingre imellem) quand il "dit aux Juifs": 'Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds; car il est menteur et le père du mensonge'(Jean 8:44)".

"Voyez comment", affirme Jørgensen, "les mensonges et le meurtre sont intimement liés, tant chez les Juifs que chez Hitler. Les mensonges des Juifs ont crucifié le Christ. Les mensonges d'Hitler ont assassiné six millions de Juifs".  La digression de Jørgensen sur ce qu'il prétend être est le lien entre mensonges et meurtre n'est pas simplement une faute de style dans son article.  Sa tentative d'utiliser ce supposé lien pour faire une analogie entre les Juifs et Hitler suggère qu'il pourrait être atteint d'une sorte de trouble cognitif. Comment peut-on resservir le stéréotype des Juifs "assassins du Christ" (un stéréotype si offensant que même le Pape a été contraint récemment de le répudier officiellement) dans un article qui prétend défendre quelqu'un, n'importe qui, contre l'accusation d'antisémitisme?

"Søren Kierkegaard n'était pas un antisémite", conclut Jørgensen, "Le prétendre c'est faire preuve de négligence dans le choix des mots et une [tentative] d'exploiter la bonne réputation de Kierkegaard à des fins personnelles."  [...]

Lire: "Des juifs et leurs mensonges" et "Du nom inconnaissable et de la lignée du Christ"

4 commentaires :

Monique a dit…

L'ignorance de l'histoire peut conduire à la barbarie et au génocide, ce qui est le cas de certains soi-disant érudits chrétiens (catholiques et protestants) du XVIéme AU XXéme siècle jusqu'aujourd'hui.
Jésus a été condamné à mort pour des RAISONS POLITIQUES par le pouvoir Romain qui occupait la Judée (la crucifixion était à l'époque le mode de mise à mort pour les condamnés, comme la décapitation l'était pour l'Angleterre du XVI-XVII-XVIIIéme siécle et la guillotine pour la France jusqu'en 1981): Jésus était donc pour les romains un rebelle, un révolutionnaire, un dissident politique comme on veut. Le motif de son accusation et de sa condamnation était écrit sur la croix en latin : Iesus Nazareus Rex Judaeorum (INRI) c'est-à-dire, Jésus le Nazaréen Roi des Juifs. Or, à cette époque, César était le SEUL ROI de l'Empire Romain tout entier qui s'étendait jusqu'en Orient : il ne pouvait pas à y avoir un autre roi en Judée-Samarie sans mettre en péril le pouvoir de César et l'occupation romaine, et c'est pour cette raison que Jésus a été tué.
Reprochons alors à tout le peuple français d'avoir torturé et tué le grand résistant Jean Moulin sous l'occupation de l'Allemagne nazie, alors que c'est le pouvoir nazi qui a donné l'ordre de le torturer et de le tuer. Mieux encore si je puis dire, faisons "payer" aux descendants des Français dans deux mille ans le soi-disant meurtre de leurs ancêtres. Je parle des Français parce que je suis française mais j'aurai pu parler aussi des autres pays occupés durant la Seconde Guerre Mondiale.

Ce qu'on oublie aussi, c'est que Jésus était le Messie et le Fils de Dieu que pour les futurs chrétiens de l'époque : il ne l'était ni pour les Romains, ni pour les Juifs qui voyaient en lui un rebelle, donc l'attachement n'est en rien comparable : on ne peut pas par exemple aujourd'hui demander à des hindoustes d'admirer le Pape.

Je voudrais dire pour terminer que le Pardon est au centre de la religion chrétienne, et que même si les Juifs avaient tué Jésus (ce qui n'est pas le cas), les chrétiens auraient du pardonner depuis très longtemps. Le pouvoir papal et chrétien a pardonné aux prêtres pédophiles qui ont humiliés, battus, violés et poussés au suicide des petits enfants et des jeunes adolescents pendant des dizaines et des dizaines d'années, voir des centaines d'années, alors les chrétiens peuvent bien pardonner aux Juifs la mort d'un homme adulte il y a 2000 ans parce qu'ils étaient persuadés que cet homme êtait un rebelle et un blasphémateur.

Je suis catholique non pratiquante : je pense toujours que Jésus était un prophéte, mais je laisse le droit à ceux qui ne croient pas ou qui ne sont pas chrétiens de voir en lui un rebelle (pas de le tuer évidement mais de pardonnerle crime si cela avait été le cas).

L'antisémitisme et l'antijudaisme se nourissent comme des "vautours" de la mort de Jésus depuis deux millénaires : IL EST TEMPS D'ARRETER.

Anonyme a dit…

Vous n'êtes certainement pas chrétien ... vous êtes
juste en pleine propaguande.

Sam a dit…

Monique, je suis juif croyant non pratiquant, pour information j'ai étudié dans un collège et lycée privé catholique (pour ceux qui pourraient éventuellement me taxer de sectaire) et je vous félicite des propos que vous avez tenus car vous mettez le doigt sur le fondement même de l’antisémitisme chrétien, mais aussi peut-être sans le vouloir sur l’antisémitisme musulman qui est certainement devenu le plus virulent depuis 50 ans. En effet les origines sont d'abord et avant tout politiques et géopolitiques, autrement dit pour des questions de pouvoir et de conquête de territoire. La religion a de tous temps été utilisée comme un moyen de contrôler les masses, et rien d'autre. C'est pourquoi la spiritualité est selon moi quelque chose de personnel et n'a pas toujours grand rapport avec la pratique d'une religion, mais a bien plus a voir avec la conscience de l’humanité en tant qu’entité plus grande et importante que la somme des individus qu'elle représente.

Anonyme a dit…

Pour répondre à Monique, Jesus a été condamné par le Sanhédrin qui est l'assemblée législative traditionnelle du peuple juif. Je cite wikipedia : De nombreuses références au Sanhédrin sont présentes dans le Nouveau testament. C’est notamment devant le Sanhédrin que comparaît Jésus après son arrestation par la garde du Grand Prêtre Caïphe. Ayant réaffirmé qu'il était le fils de Dieu, il est accusé de blasphème et condamné à la lapidation, mais ensuite jugé et condamné à la crucifixion pour sédition par le préfet de Judée Ponce Pilate.

Pierre, Jean, Étienne et Jacques, des disciples de Jésus passeront aussi à leur tour devant les membres de la docte assemblée.

Donc Jésus a bien été jugé coupable par un tribunal juif, et la sentence exécutée par les romains car ces juifs vivaient sous occupation romaine.

Vatican II est très critiquable, demandez à un traditionaliste ce qu'il en pense. De plus ce concile ne dédouane pas du tout les juifs, mais partagent leur responsabilité avec celle des romains.