lundi 18 juin 2012

Garaudy, héros dans le monde musulman de la lutte contre le "sionisme mondial"

On est forcé de reconnaître que les accusations de Garaudy contre les Juifs et contre Israël sont reprises un peu partout en Europe, véhiculées par les médias, l'église, les universités etc. Quant au génocide perpétré par les nazis - s'il n'est pratiquement plus nié en Europe - il par contre est courant d'accuser les Juifs de l'instrumentaliser afin d'exercer un chantage à la pitié. Et comme l'écrit Taguieff, et pour une fois tous les médias le reconnaissent: "Depuis le milieu des années 1980, Garaudy est célébré partout dans le monde musulman comme un héros de la lutte contre le "sionisme mondial"."

Western deniers in the
Middle East
Source: Hufftington Post (L'itinéraire du "grand militant mujahid Roger Garaudy": du communisme au négationnisme, par Pierre-André Taguieff)

Les convertis à l'islam venant de l'extrême gauche suivent souvent, depuis les années 1980, l'itinéraire prototypique d'un Roger Garaudy (1913-2012). Celui-ci, communiste stalinien séduit par le catholicisme, s'est d'abord converti dans les années 1970 à un tiers-mondisme mâtiné d'anti-occidentalisme ou d'hespérophobie (L'Occident est un accident) (1), puis a épousé la cause du monde musulman, y trouvant un appui décisif pour combattre à la fois l'hyperpuissance américaine, où il voit le principal vecteur du "totalitarisme du marché", et l'État d'Israël, et plus largement le "lobby sioniste international". Le Garaudy anticapitaliste et tiers-mondiste, l'humaniste "sans frontières", pionnier de ce qui s'appellera vingt ans plus tard l'"altermondialisme", était déjà applaudi par les "chrétiens de gauche", qui le suivront dans l'ensemble avec enthousiasme lorsqu'il épousera la cause palestinienne. Garaudy a participé activement à l'entreprise de diabolisation d'Israël qui, à partir de l'été 1982, a pris une ampleur inédite par l'exploitation cynique des massacres de Sabra et Chatila (16-18 septembre 1982) commis par les Phalanges chrétiennes libanaises et attribuées mensongèrement à l'armée israélienne (2). Avant même les massacres de Sabra et Chatila, Israël fut accusé publiquement de "terrorisme d'État" dans un placard publicitaire publié par Le Monde le 17 juin 1982 sous le titre "Après les massacres du Liban. Le sens de l'agression israélienne", signé par Roger Garaudy, le père Michel Lelong et le pasteur Mathiot (3).

Après sa conversion à l'islam, en 1982, Garaudy entre dans un processus de radicalisation de son "antisionisme". Il publie tout d'abord un pamphlet "antisioniste" intitulé L'Affaire Israël (1983) (4), où il développe ses quatre principaux thèmes d'accusation visant Israël et le "sionisme" : "racisme", "colonialisme", "expansionnisme" (ou "impérialisme") et "terrorisme d'État". Cette radicalisation le conduit à publier par les soins de La Vieille Taupe, douze ans plus tard, en décembre 1995, son premier pamphlet négationniste, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne (5). En raison du soutien apporté par l'abbé Pierre à son vieil ami, ce pamphlet "antisioniste" va provoquer un débat houleux au printemps 1996. Rappelons que les éditions La Vieille Taupe avaient été fondées par un groupe de militants d'extrême gauche qui, entre 1978 et 1980, s'étaient ralliés aux "thèses" défendues par Robert Faurisson, devenu depuis la figure emblématique du négationnisme français, sillonnant le monde pour diffuser la "bonne nouvelle" selon laquelle le génocide nazi des Juifs d'Europe n'aurait pas eu lieu et se réduirait à un "mensonge de propagande (6)".


L'argumentation négationniste s'est pleinement intégrée dans le discours antisioniste des pays arabo- musulmans et de l'Iran islamiste à travers le best-seller qu'a été ce méchant pamphlet qui semblait provenir d'une officine, fabriqué par des faussaires amateurs avec des matériaux empruntés hâtivement à diverses publications antijuives confidentielles, et ce, sur le mode du plagiat (7).

Dans ce pamphlet qui revient à inscrire l'antisionisme dans un antijudaïsme radical, Garaudy reprend à son compte l'essentialisation négative du peuple juif comme peuple exterminateur et colonisateur, identique à lui-même à travers l' histoire, et l' assortit d' une accusation de "purification ethnique" et de "racisme", ou, plus exactement, de proto-racisme, ce qui revient à postuler que les Juifs sont les inventeurs du racisme: "Cette "purification ethnique" devenue systématique dans l'État d'Israël d'aujourd'hui, découle du principe de la pureté ethnique empêchant le mélange du sang Juif avec le "sang impur" de tous les autres. [...] Ce racisme, modèle de tous les autres racismes, est une idéologie de domination de différents peuples (8)." L'accusation triple est claire: les Juifs sont originellement racistes, impérialistes et exterminateurs de peuples étrangers. En 1998, Garaudy publie un nouveau pamphlet judéophobe à visage "antisioniste": Le Procès du sionisme israélien (9). [...]

L'expansion mondiale de ce que Garaudy pense être la nouvelle et fausse "religion", celle du marché, n'est autre que l'américanisation du monde, dans laquelle Israël joue, selon lui, un rôle majeur :

"Le point névralgique des frontières de l'empire américain (...), c'est le Golfe Persique, parce qu'il est entouré des plus riches gisements de ce pétrole, qui demeure, pour quelques décennies, "le nerf de la croissance" occidentale. Sur ce "limes" a été remportée la plus récente "victoire" du monothéisme du marché par l'écrasement de l'Irak (guerre engagée par les États-Unis sous la pression de deux "lobbies" [le "lobby juif" et le "lobby des affaires"]) (...). À ce "point névralgique" des frontières du nouvel empire, l'État d'Israël ne cesse de jouer le rôle que lui assignait déjà son fondateur spirituel, Théodore Herzl: celui d'un "bastion avancé de la civilisation occidentale contre la barbarie de l'Orient." (...) Aujourd'hui, une autre cible, plus importante encore, est désignée : l'Iran. (...) La nouvelle cible a été déjà désignée à Charm El Cheikh, en 1996, par le gouvernement d'Israël : la "lutte contre le terrorisme" comme "l'ingérence humanitaire" étant les deux prétextes nouveaux du néo-colonialisme intégré. (17)" [...]

(1) Le néologisme "hespérophobie", introduit par l'historien Robert Conquest, a été utilisé par John Derbyshire dans un article diffusé le 13 septembre 2001: "Hesperophobia: On Blaming the Jews", National Review Online, puis repris par Raphaël Israeli dans son étude intitulée "L'antisémitisme travesti en antisionisme", tr. fr. Jean-Pierre Ricard, Revue d'histoire de la Shoah, n° 180, janvier-juin 2004, p. 127.
(2) Sur cette accusation mensongère et son exploitation par la propagande palestinienne, voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, Paris, PUF, 2010, pp. 145-149.
(3) Sur ce texte et son contexte, voir Pierre-André Taguieff, "L'antisionisme arabo-islamophile", Sens, n° 11, novembre 1982, pp. 253-266.
(4) Roger Garaudy, L'Affaire Israël, Paris, SPAG-Papyrus éditions, 1983.
(5) Roger Garaudy, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Paris, La Vieille Taupe, décembre 1995; rééd., Samiszdat [sic], Roger Garaudy, 1996 ; nouvelle édition, Beyrouth, Al Fihrist, 1998. Sur l'affaire Garaudy, voir Pierre-André Taguieff, "L'abbé Pierre et Roger Garaudy. Négationnisme, antijudaïsme, antisionisme", Esprit, n° 224, août-septembre 1996, pp. 206-216; Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Le Seuil, 2000, pp. 472- 483; Michaël Prazan, Adrien Minard, Roger Garaudy. Itinéraire d'une négation, Paris, Calmann-Lévy, 2007, pp. 163-308.
(6) Voir Valérie Igounet, Robert Faurisson. Portrait d'un négationniste, Paris, Denoël, 2012.
(7) Voir Pierre-André Taguieff, "L'abbé Pierre et Roger Garaudy...", art. cit.
(8) Roger Garaudy, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Paris, La Vieille Taupe, décembre 1995, pp. 44-47. Sur l'accusation de "racisme" visant le peuple juif, devenue lieu commun du discours judéophobe, voir Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, pp. 340-350.
(9) Roger Garaudy, Le Procès du sionisme israélien, Paris, Éditions Vent du Large, 1998.
(10) Tel est aussi le titre du chapitre I d'un livre ultérieur de Roger Garaudy, Le Terrorisme occidental, Paris, Éditions Al Qalam, 2004, pp. 39-71.
(11) Roger Garaudy, Les États-Unis, avant-garde de la décadence (Comment préparer le XXIe siècle), Paris, Éditions Vent du Large, 1997.
(12) Op. cit. (2004).
(13) Roger Garaudy, Le Terrorisme occidental, op. cit., p. 9.
(14) Ibid., pp. 182-183. Voir aussi Roger Garaudy, Les États-Unis, avant-garde de la décadence, op. cit., pp. 15-20 (chap. II: "Le monothéisme du marché").
(15) Roger Garaudy, "Contre le monothéisme du marché", Éléments pour la civilisation européenne, n° 84, février-mars 1996, pp. 31-37.
(16) Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, L'Islam révolutionnaire, Monaco, Éditions du Rocher, 2003, p. 105.

«L'affaire Garaudy» l'a démontré L'antisémitisme reste virulent en Egypte (Le Soir, 1998)

1 commentaire :

Monique a dit…

Il esr mort. Il ne nous crachera plus tout son venin et c'est une excellente chose.