lundi 21 novembre 2011

Marc-Edouard Nabe et exception culturelle française

On a beau chercher mais ce phénomène n'existe qu'en France.  Ailleurs un personnage comme  Marc-Edouard Nabe ne serait pas devenu une icône.  Quelques-uns des icônisé français qui ont comme caractéristique ou bien de taper sur les Juifs ou bien de taper sur Israël: Dieudonné, Stéphane Hessel, Alain Soral, l'Abbé Pierre, Garaudy, Dominique Vidal, Céline, Pascal Boniface, Charles Enderlin, Alain Gresh, Tarik Ramadan, Siné etc etc.  Ils existent en profusion en Occident, mais il n'y a qu'en France qu'ils deviennent des icônes et sont considérés comme des génies.

"C'est sans doute le site d'Elisabeth Lévy, Causeur.fr, qui vend la mèche lorsqu'il écrit confusément que Nabe "désamorce la grenade de l'antisémitisme en la balançant à la figure de son lecteur". Cela veut dire que nous sommes au royaume du négationnisme littéraire. "Fair is foul and foul is fair": les mots ne disent pas ce qu'ils veulent dire. L'antisémitisme n'est pas l'antisémitisme, c'est même le contraire; l'expression de la bêtise est son "retournement", et donc l'expression de l'intelligence (Besson); le premier degré vaut le second et tout est vain et rigolo. C'est ainsi, entre deux blagues légères, que les mots sont vidés de leur chair, de leur sens, et poliment anémiés. Mais ce tour de passe-passe n'a rien de gratuit. On le voit avec le soutien dont bénéficie ce livre. C'est une violence perverse qui se met en place insidieusement, avec le sourire et au nom de la liberté littéraire, une violence et une perversion qui n'ont pas plus à voir avec la littérature qu'avec la liberté."


Source: Le Monde (Les bienveillants, par Marc Weitzmann, écrivain)

En dépit ou plutôt à cause d'une réputation sulfureuse, l'écrivain Marc-Edouard Nabe a toujours bénéficié d'un certain nombre de fans, et non des moindres, dans le milieu éclairé des littérateurs. S'être fait taper dessus en 1985 par le journaliste Georges-Marc Benamou, à la suite d'un passage à l'émission "Apostrophes", pour son premier livre taxé d'antisémitisme, constituait, semble-t-il, une sorte d'adoubement. On l'a dit "mauvais garçon" (Eric Naulleau), "non consensuel" (Patrick Besson), et, depuis son renvoi des Editions du Rocher (suite au rachat de la maison), le fait qu'il s'autoédite sur Internet et s'autodistribue dans divers magasins et bars parisiens lui confère une sorte d'aura culte de marginal maudit. Qu'il ait fait l'éloge de Ben Laden n'est pas mal non plus. Les écrivains polis de Saint-Germain-des-Prés aiment bien, de temps à autre, s'encanailler avec ce que Nabe appelait dans son premier livre, non sans lucidité d'ailleurs, ses "recueils de frissons". En 2010, il a même failli recevoir le prestigieux prix Renaudot pour L'Homme qui arrêta d'écrire.

Venons-en à son nouveau livre, L'Enculé (250 p., 24 euros), consacré à "l'affaire DSK". Il bénéficie d'un soutien plus discret. Si Frédéric Taddeï, supporteur de longue date, n'a pas jugé bon d'inviter Nabe à la télévision cette fois-ci, le noyau dur est cependant bien présent. Ainsi de Patrick Besson, éditorialiste au Point et juré du prix Renaudot, qui écrit, le 27 octobre, sur une pleine page du journal de Franz-Olivier Giesbert (lui aussi membre du jury Renaudot): "L'Enculé est à ce jour la synthèse la plus pertinente et la plus joviale de tout ce qu'on a pu lire, voir et entendre sur l'affaire DSK au cours de l'été dernier (...). C'est l'histoire d'un homme seul face à ses besoins, ses rêves, ses obsessions, ses souvenirs. Son innocence et sa culpabilité. Son rire (...). C'est l'être universel qui habite toutes les grandes oeuvres d'art : un coeur face à la mort, un sexe dans le mur."

Ainsi encore de l'éditeur Léo Scheer, qui, bien que n'ayant pas publié L'Enculé, le présente par amitié sur le site de sa propre maison d'édition: "Nabe va bien au-delà de tout ce que peuvent essayer de nous faire partager des milliers de journalistes à travers les millions de lignes qu'ils écrivent dans leurs journaux. La réalité est écrasée par la puissance de la littérature qui peut dire une vérité inaccessible pour les journalistes. Fondamentalement, toutes proportions gardées, lorsque Flaubert décide, partant d'un fait divers, de se mettre dans la peau de la Bovary, il ne fait pas autre chose que ce que tente Nabe dans ce livre."

Diable. Puisque nul ne prend la peine de le citer, ouvrons donc la grande oeuvre d'art flaubertienne, pages, mettons, 69-70 : "Dans l'obscurité, elle a cherché un moment ma queue, ayant oublié sans doute où ça se trouve chez un homme... Elle me l'a sortie de mon pyjama rayé (ah, elle y tenait à ce que je porte la nuit un pyjama rayé: "Comme dans les camps, mon chaton, c'est aussi une façon de se souvenir... Pour que plus jamais cela n'arrive !"). J'ai dû négocier de longues heures pour qu'elle n'y couse pas une étoile jaune ! (...) Anne Sinclair mouillait. Et pour moi ! Encore et toujours. Si j'étais du genre romantique, ça m'émouvrait, mais déjà j'avais envie d'être sucé. (...) Je me souvenais précisément de la première fois où Anne m'avait sucé : c'était dans son bureau de TF1, avant un tête-à-tête avec Patrick Timsit (passionnant), je me disais : voilà la bouche sur laquelle des millions de Français fantasment, à cause de la pulpe de ses lèvres bien sûr, mais aussi de la fameuse intelligence médiatico-politique qui s'exprimait par là comme des eaux sales sortent d'un égout, et c'était moi, le petit prof d'économie sépharade qui lui faisait en quelque sorte fermer sa grande gueule de sioniste de gauche caviar. C'est comme si, en me faisant sucer, je lui avais fait ravaler son caviar de merde !"

J'ai délibérément coupé les lignes les plus insultantes. Car il s'en faut de beaucoup que cette citation soit un passage isolé: au hasard, on trouve dans le livre DSK se "torchant" avec La Nuit d'Elie Wiesel ("les mots pleins de douleur du rescapé d'Auschwitz sont maculés d'une couleur vert-de-gris"), DSK se faisant lécher les pieds par une étudiante juive excitée par des chants nazis et, bien évidemment, au détour de deux phrases, DSK juif, franc-maçon, affameur du monde.

Quant à la technique narrative louée par Léo Scheer, consistant à se mettre dans la tête de DSK, elle permet surtout à Nabe de déployer un texte qui, au bout du compte, ne peut être lu autrement que comme un pamphlet antisémite et obscène entièrement dirigé contre Anne Sinclair. Rappelons ici que, avec Simone Veil et Robert Badinter - lequel est au passage qualifié dans le livre de "maître de la Gauche juive" -, Anne Sinclair partage depuis trente ans le douteux privilège de concentrer l'essentiel des fantasmes antisémites de l'extrême droite journalistique et littéraire de ce pays. Ainsi dans les années 1980, pour ne prendre qu'un exemple, fut-elle qualifiée, dans un style que ne renierait pas Nabe, de "marchande de soutiens-gorge sur TF1, juive mal assimilée de tendance socialiste" par l'ex-milicien, journaliste à Minute et cofondateur du Front national, François Brigneau. Lequel fut condamné pour cela par les tribunaux. (Ce motif de la non-assimilation est d'ailleurs repris quasi-verbatim chez Nabe page 79.)

Que conclure ? Faut-il "qu'un million de procès s'abatte" sur Nabe, comme le prophétise non sans gourmandise Besson dans Le Point? Ce serait une erreur, ce serait sans doute même une faute ("Je ne demande que ça!", renchérit d'ailleurs Nabe lui-même dans l'entretien extraordinairement complaisant que lui a accordé le site du Nouvel Observateur Bibliobs). En littérature, la censure est toujours mauvaise, et tout écrivain a droit à l'abjection - cette abjection dût-elle confiner, comme c'est le cas ici, à la bêtise la plus foireuse, à la médiocrité littéraire la plus crasse, à la perversion la plus ordinairement suicidaire.

Mais faut-il pour autant, sous prétexte de lutte contre le "politiquement correct", en faire l'éloge? Il n'est pas anodin qu'un hebdomadaire comme Le Point le soutienne, qu'un éditeur branché comme Léo Scheer puisse comparer L'Enculé à Madame Bovary, que le site Internet Slate.fr parle d'un livre "souvent désopilant" ou que Bibliobs confie "s'amuser terriblement". Tous s'alignant ainsi sur Dieudonné, qui, sans surprise, fait l'éloge du livre et exhibe la chaleureuse dédicace de l'auteur sur son site : "Pour Dieudonné, toujours génial..."

C'est sans doute le site d'Elisabeth Lévy, Causeur.fr, qui vend la mèche lorsqu'il écrit confusément que Nabe "désamorce la grenade de l'antisémitisme en la balançant à la figure de son lecteur". Cela veut dire que nous sommes au royaume du négationnisme littéraire. "Fair is foul and foul is fair": les mots ne disent pas ce qu'ils veulent dire. L'antisémitisme n'est pas l'antisémitisme, c'est même le contraire; l'expression de la bêtise est son "retournement", et donc l'expression de l'intelligence (Besson); le premier degré vaut le second et tout est vain et rigolo. C'est ainsi, entre deux blagues légères, que les mots sont vidés de leur chair, de leur sens, et poliment anémiés. Mais ce tour de passe-passe n'a rien de gratuit. On le voit avec le soutien dont bénéficie ce livre. C'est une violence perverse qui se met en place insidieusement, avec le sourire et au nom de la liberté littéraire, une violence et une perversion qui n'ont pas plus à voir avec la littérature qu'avec la liberté.

2 commentaires :

Axel a dit…

Bonjour,

Je crois qu'au travers de ce roman, Nabe, et à travers lui ses fans, font payer à Anne Sinclair ses années 7/7 dans les années 80/90, années de "moraline" sirupeuse, de bien-pensance, de terrorisme intellectuel...

Anonyme a dit…

Nabe est un guignol. Sur son site, ses thuriféraires ont mis en ligne fièrement un texte, "le texte du moment" qu'ils appellent ça, intitulé "le mur du mal"...

Il s'agit bien sûr des blocs bétonnés servant de protection en Israël contre les intrusions des assassins arabo-musulmans qui faisaient régner la terreur par leurs attentats. Et que nous dit ce guignol ? que ce mur fait 350 kilomètres de long...

"350 kilomètres de haine pure et dure, bétonnée, grise, passant en gras sur le « pointillé », et mordant au bout de vingt kilomètres sur la « ligne verte », tout ça pour reconstituer la fameuse frontière de 1967."

Oui, comme le fait remarquer Marc Weitsmann il n'y a qu'en France qu'un vulgaire antisémite peut-être pris au sérieux et défendu...