mercredi 25 janvier 2012

Les racines profondes de l’antisémitisme protestant en Europe

"Les Juifs sont un peuple de débauche, et leur synagogue n'est qu'une putain incorrigible. On ne doit montrer à leur égard aucune pitié, ni aucune bonté. Nous sommes fautifs de ne pas les tuer!" (Martin Luther)

Dans de nombreux cercles juifs, on a eu – depuis plusieurs décennies - la fausse impression que l’antisémitisme chrétien déclinait et qu’il se dissiperait dans le cours d’une génération ou deux. Cette illusion provient essentiellement du changement majeur dans l’attitude de l’Eglise Catholique Romaine envers les Juifs après la Shoah.  Au cours de la dernière décennie, on a assisté à de vives prises à partie et à des appels à des boycotts contre Israël, de la part de plusieurs congrégations protestantes et du Conseil Mondial des Eglises [catholiques également]. Cela éveille une intérêt nouveau pour les racines profondes de l’antisémitisme chrétien, en particulier, dans sa version protestante.
Source: Lassekele, Manfred Gerstenfeld interviewe Hans Jansen

Le Prof. Hans Jansen [photo] est l’auteur de travaux importants et fréquemment réédités en hollandais, intitulé Christian Theology after Auschwitz [La Théologie Chrétienne après Auschwitz-non-traduit]. Le sous-titre de son premier tome s’intitule: The History of 2000 Years of Church Anti-Semitism [2000 ans d’Histoire de l’Antisémitisme de l’Eglise]. Le second tome -en deux volumes- est sous-titré The Roots of Anti-Semitism in the New Testament [Les Racines de l’Antisémitisme dans le Nouveau Testament]. Jansen, Protestant néerlandais, a enseigné l’histoire à l’Université Libre Flamande de Bruxelles (de 1990 à 2000) et il enseigne, depuis 2002, à l’Institut Simon Wiesenthal dans cette même ville.

Jansen fait observer : "Parmi les pères fondateurs Protestants, Martin Luther était particulièrement antisémite. Aucun autre théologien catholique ou protestant important dans l’histoire, ayant écrit des sommes d’exégèse de première importance, n’a eu autant de choses horribles à dire à propos des Juifs que Luther. A la fin de ses jours, c’était un antisémite enragé.


A l’origine, en 1523, Luther avait écrit un livre relativement positif envers les Juifs, intitulé Jésus est né Juif. Jamais auparavant, un théologien n’avait seulement considéré Jésus en tant que Juif. Cela constituait une hérésie majeure. Il était donc extraordinaire de publier un livre avec un tel titre. Il avait écrit ce premier livre en espérant qu’il amènerait les Juifs à se convertir au Christianisme.
Luther a aussi écrit que la mission chrétienne parmi les Juifs avait échoué depuis tant d’années, parce que l’Eglise Catholique Romaine avait trop peu à offrir. Il prétendait qu’il était retourné à l’évangile pur du Nouveau Testament et que l’Eglise Catholique, quant à elle, ne le suivait pas. Luther pensait à tort que les Juifs accepteraient cet évangile authentique.

A l’époque où Luther écrivit son principal livre antisémite, A propos des Juifs et de leurs Mensonges, il était extrêmement déçu que les Juifs ne se soient pas encore convertis. Il s’exprimait, désormais, de la même manière que les textes du National-Socialisme l’ont fait au vingtième siècle et épiçait son livre de nombreuses remarques diffamatoires.

Luther déclarait, par exemple, qu’aucun peuple n’était aussi avide d’argent que les Juifs. Quand un Chrétien rencontrait un Juif, il devrait faire le signe de croix, parce qu’un diable vivant se tenait en face de lui. Luther prétendait que les Juifs dominaient les Chrétiens. Il recommandait de brûler les synagogues en l’honneur de D.ieu et de la Chrétienté.  Luther a aussi écrit que les maisons juives devaient être démolies et détruites. Les Juifs devraient être relogés dans des établis et que leurs livres leur soient retirés. Plus encore, leurs rabbins devaient se voir interdits d’enseigner sous peine de mort. Les Juifs ne devraient pas être autorisés à prendre des intérêts. Pas plus qu’ils ne devraient pouvoir circuler librement. Les passages ci-dessus sont loin d’être les pires que Luther ait écrit à propos des Juifs. Il les a aussi accusés de vouloir tuer les Chrétiens, d’exécuter des rites de meurtre et d’empoisonner les puits.

Un autre réformateur, Justus Jonas, a traduit le livre antisémite de Luther en latin. Au seizième siècle, un libraire a ordonné, à lui tout seul, pas moins de cinq mille copies pour honorer des commandes d’Italie et de France.

Les Nazis ont détourné à leur profit les pensées de Luther. Aussi antisémite était-il, Luther n’a jamais prêché qu’on devait exterminer les Juifs. Julius Streicher considérait Luther comme son maître à penser. Adolf Hitler et Joseph Goebbels citaient aussi ses travaux avec bonheur.

En 1985, la Fédération Mondiale des Luthériens a pris ses distances avec les textes antisémites de Luther, affirmant qu’on devait les comprendre dans l’esprit de l’époque. Son antisémitisme est, le plus largement, demeuré un sujet tabou pour les Luthériens. Au cours de ma carrière universitaire, j’ai pu observer à quel point il est difficile pour des gens qui ont tant d’admiration pour Luther, de se trouver confrontés à cet aspect de lui-même.

Jusqu’à quel point la théologie anti-juive des Réformateurs et l’héritage de Luther influencent-ils les attitudes anti-israéliennes présentes des congrégations protestantes? Je pense qu’ils jouent un rôle certain, mais que d’autres influences sont toutes aussi importantes.

En ce qui concerne les églises, conclut Jansen :

Le Dr. Manfred Gerstenfeld préside le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski

Hans Jansen, Christelijke theologie na Auschwitz: Theologische en kerkelijke wortels van het antisemitisme, Tome 1, 6th ed. (Amsterdam: Blaak, 1999). [Dutch]
Martin Luther, Dasz Jesus Christus ein geborener Jude sei. [German]

Luthers Kampfschriften gegen das Judentum, ed.Walther Linden, Berlin 1936. [German]

The Historical Roots of the Anti-Israel Positions of Liberal Protestant Churches, Interview with Hans Jansen (2007)

2 commentaires :

prof a dit…

Pour moi, qui appartient au protestantisme, c'est une lourde responsabilité du passé. Même si j'ai étudié Martin Luther, Jean Calvin et leurs successeurs, j'ai découvert tardivement leur antisémitisme. Il faut avouer que mes professeurs nous avaient caché les aspects les plus opaques de ces personnalités.

Aujourd'hui, je condamne avec insistance cet antisémitisme protestant surtout quand on sait ce que cela produisit par la suite. Horreur! Mais il y a quelqu'un qui, lui, n'aura pas oublié. Ils devront s'expliquer quand ils passeront en jugement.

Luc HENRIST a dit…

Tout à fait d'accord avec vous, Prof. Etant moi-même protestant, je m'éfforce d'enseigner dans les églises qui m'ouvrent leurs portes sur ce sujet à l'aide d'un diaporama que j'ai créé et qui s'intitule "L'Histoire de l'antisémitisme, de l'Antiquité à nos jours" Ce n'est pas très facile à "digérer" mais il est bien nécessaire de faire connaître cette page sombre du christianisme...