lundi 2 janvier 2012

Je dors dans la chambre d'Hitler: un Juif américain visite l'Allemagne (Tuvia Tenenbom)

"Inconsciemment, les Allemands pensent que s'ils s'occupent des Palestiniens de Gaza, ils feront effacer de la mémoire des ours bruns de Buchenwald - et projetteront une belle image d'eux-mêmes."  [Il y avait dans le camp de concentration de Buchenwald une cage avec un ours brun et un aigle. Chaque jour on leur jetait un Juif. L'ours le dépeçait et l'aigle nettoyait les os.]  

Tuvia Tenenbom, fondateur et directeur artistique du Théâtre Juif de New York, a passé plusieurs mois à voyager à travers l'Allemagne en notant ses observations.  Un contrat avait même été signé avec Rowohlt, un des plus importants éditeurs allemands, pour la publication d'un livre.  Le manuscrit achevé avait été accepté et devait sortir en avril 2011. Mais Rowohlt a exigé certaines coupures et des changements, principalement dans les références très franches de Tenenbom sur l'antisémitisme allemand. Tenenbom a catégoriquement refusé.  Le livre a paru en Amérique - publié par le Jewish Theater of New York, I Sleep in Hitler's Room: An American Jew Visits Germany (Je dors dans la chambre d'Hitler: un Juif américain visite l'Allemagne).

Dans la vitrine d'une librairie à Düsseldorf, il raconte avoir vu trois ouvrages: "Un livre sur la Palestine, un livre sur l'Holocauste, et un autre livre écrit par un gauchiste israélien qui est un grand critique du gouvernement israélien."  Rien de surprenant.  C'est la même chose à Paris, à Bruxelles, à Londres!


Bruce Bawer en parle dans Pajamas Media.  Nous avons traduit quelques passages.

"Les Allemands sont une tribu, m'a-t-on dit," explique Tenenbom, "et la tribu se protège. C'est quelque chose à laquelle je ne suis pas habitué. Rendez-vous dans n'importe quelle librairie américaine et vous trouverez un bon nombre de livres qui sont farouchement anti-américains. ... Mais l'Allemagne ... n'est pas l'Amérique". Une lutte désagréable eut lieu, confirmant pour Tenenbom que "la haine allemande du Juif d'alors, et la haine du Juif d'aujourd'hui ... c'est exactement la même haine". [...]

Il interviewe un jeune homme qui est responsable de l'éducation à Buchenwald et qui est dévoré par une telle passion pro-palestinienne que, même après avoir perdu un œil et son frère à cause de l'explosion d'une bombe placée dans sa voiture par un Palestinien, il reste un farouche partisan de la cause palestinienne. Tenenbom est brillant quand il dit au jeune homme qu'il a parfaitement le droit d'avoir les croyances politiques qu'il a, mais lui demande comment se fait-il que quelqu'un qui occupe ses fonctions à Buchenwald ne "sent pas le besoin d'être un peu plus sensible aux sentiments des Juifs. ... Je lui demande si sa haine du Juif est si profondément ancrée que ce sentiment l'a tout simplement déserté". Le jeune homme écoute Tuvia Tenenbom en silence et ses mains tremblent.


Mais que se passe-t-il donc? Un nombre trop élevé d'Allemands, suggère Tenenbom, "veulent effacer la honte d'être les assassins des Juifs hier en faisant cause commune avec les haïsseurs des Juifs aujourd'hui. ... Paix et amour, disent-ils, un millier de fois par jour, et c'est mille fois creux. Ils font un signe avec deux doigts, en avant et en arrière, pour désigner la paix et l'amour, mais leurs cœurs chantent Sieg Heil". Les médias allemands, non seulement ne rapportent pas cette haine du Juif mais, de surcroît, s'efforcent à la cacher. "Quatre-vingt-deux millions d'Allemands", note-t-il avec ironie, et ils "n'ont rien de mieux à faire que d'être obsédés par les 106 000 Juifs qui vivent parmi eux." Pourquoi? Une des personnes interrogées, un homme d'affaires, a donné cette explication: "Fondamentalement il n'y a pas de Juifs dans ce pays, juste quelques-uns. La relation que des gens d'ici ont avec les Juifs est théorique, et pas réelle."

Quant à Tenenbom, il a ces réflexions à vous offrir:

"Les Allemands, et désolé pour la généralisation, feront tout et n'importe quoi pour donner une bonne impression, pour paraître beaux et intelligents. Mais qui sont-ils vraiment? Ils sont la nation la plus narcissique de la planète. Ils ont une très bonne opinion d'eux-mêmes et veulent que tout le monde leur donne raison. ... Plus que toute autre nation dans le monde, les Allemands se concentrent profondément sur la beauté visuelle - et ils obtiennent des résultats. Mais ils ne s'arrêtent pas là. Inconsciemment, les Allemands pensent que s'ils s'occupent des Palestiniens de Gaza, ils feront effacer de la mémoire des ours bruns de Buchenwald - et projetteront une belle image d'eux-mêmes."

Note: Il y avait dans le camp de concentration de Buchenwald une cage avec un ours brun et un aigle.  Chaque jour on leur jetait un Juif.  L'ours le dépeçait et l'aigle nettoyait les os. Source: NYT

3 commentaires :

Anonyme a dit…

Il y a bien une singularité judéo-allemande, qu'elle soit considérée comme une "symbiose", comme une illusion, ou encore comme un cas pathologique d'antisémitisme. Parmi les caractères marquants de cette histoire, la culture allemande, et surtout protestante, suffirait à elle seule à différencier considérablement l'histoire des Juifs en Allemagne et en France.

Nombreux sont les Juifs allemands qui, dès le 19° siècle - Karl Marx n'est que le cas le plus connu -, vinrent à Paris, chassés ou suspects, trouver un havre de paix, ou du moins une manière de faire fructifier des diplômes acquis outre-Rhin, qui ne pouvaient être utilisés en Allemagne. Le cas le plus connu d'intellectuel demeurant en Allemagne, celui de Heinrich Heine, ne doit pas masquer la cohorte de savants de toutes disciplines qui s'installèrent en France.

C'est une communauté très vivante et très hétérogène qui vivaitt en Allemagne entre les deux guerres, solidement structurée dans le Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens, la Zionistische Vereinigung für Deutschland, le Hilfsverein der deutschen Juden, mais aussi dans l'alliance des combattants juifs du front, dans le cercle religieux de l'Agudat Israel, dans les loges du Bnei Brith, etc. Étudiants, sportifs et musiciens avaient aussi leurs associations. L'influence de Franz Rosenzweig et celle, surtout, de Martin Buber irriguent une nouvelle prise de conscience, par-delà l'émancipation de ce judaïsme qui rencontrera - avant les persécutions - les dilemmes de toutes les communautés religieuses du monde moderne confrontées à la sécularisation désormais triomphante. A la fin de cette haute et tragique histoire répondant à celle de Moses Mendelssohn, une nouvelle traduction de la Bible commence à être publiée en 1925. Due à Buber et à Rosenzweig, elle a le but inverse de celui de son aînée: là où Mendelssohn voulait, avec l'hébreu, faire apprendre l'allemand à sa communauté, ceux-ci veulent, à travers l'allemand, faire entendre l'hébreu.

La Shoah va interrompre cette recomposition du judaïsme allemand qui, exsangue et décimé, parviendra à reformer une existence dans les endroits où les Juifs seront réfugiés, de Rio de Janeiro à Shanghai! Comme le disait Ernst Simon, le judaïsme allemand est un mort qui n'a pas été porté en terre et qu'on n'a pas pleuré.

Anonyme a dit…

Dans la conception qu’elle se fait d’elle-même, l’Allemagne réunifiée n’est pas une "démocratie post-nationale parmi des Etats nationaux ", comme le politologue Karl Dietrich Bracher décrivait la « vieille » République fédérale en 1976, mais un Etat national démocratique post-classique parmi d’autres – solidement ancré dans cette communauté d’Etats supranationale qu’est l’Union européenne (UE), au sein de laquelle une partie de la souveraineté nationale est exercée avec les autres Etats membres. Bien des choses séparent le deuxième Etat national allemand du premier, à savoir tout ce qui avait fait de l’Empire de Bismarck un Etat militaire et autoritaire. Mais il existe aussi des continuités entre le premier et le deuxième Etat national. En tant qu’Etat constitutionnel et de droit, qu’Etat fédéral et social, l’Allemagne réunifiée est dans une tradition qui remonte au 19° siècle. Cela vaut également pour le droit de vote égal et général et la structure parlementaire qui avait commencé à se développer au Reichstag pendant l’Empire. La continuité spatiale est elle aussi évidente : le Traité 2 + 4, le document fondant l’Allemagne réunifiée sur le plan du droit international, a réaffirmé la solution de la petite Allemagne, avec des Etats séparés pour l’Allemagne et l’Autriche.


La question allemande est résolue depuis 1990, mais la question européenne est toujours en suspens. Depuis les élargissements de 2004 et de 2007, l’UE comprend douze autres pays, dont dix vivaient sous un régime communiste jusqu’au tournant historique de 1989-91. Ce sont tous des Etats qui appartiennent au vieil Occident – marqués par une tradition juridique largement partagée, par la séparation précoce du pouvoir séculier et ecclésiastique et du pouvoir princier et des états, mais aussi par l’expérience des conséquences meurtrières de la xénophobie et des conflits religieux et nationaux. Le rapprochement des composantes séparées de l’Europe demande du temps. Il ne réussira que si l’approfondissement de l’unification européenne se fait au même rythme que l’élargissement de l’Union. L’approfondissement exige bien plus que des réformes institutionnelles. Il requiert une réflexion commune sur l’histoire européenne et sur les conclusions qu’il faut en tirer. La conclusion qui dépasse toutes les autres est la reconnaissance de la validité universelle des valeurs occidentales avec, en premier lieu, l’intangibilité des droits de l’homme. Ce sont les valeurs auxquelles l’Europe et l’Amérique ont ensemble donné naissance, des valeurs qu’elles revendiquent et à l’aune desquelles elles doivent accepter d’être mesurées.

Anonyme a dit…

La ville de Würzburg fut réduite en cendres lors d’un bombardement en mars 1945, qui ne laissa que quelques bâtiments debout et fit des milliers de morts. À la fin de la guerre, les hommes étaient pratiquement tous morts ou prisonniers, et les femmes durent rebâtir leur ville à partir des décombres. Ce qui laissait espérer un nouveau départ.

La ville a eu sa part de rassemblements néo-nazis, que la municipalité a tenté (en vain) d’interdire. Lors des élections de 2009, presque la moitié des suffrages est allée au parti conservateur de l’Union chrétienne-sociale, souvent associée aux politiques anti-immigration. Doit-on en déduire que des sentiments antisémites mijotent aussi sous le couvercle ? Le professeur Voth n’a pas de certitudes, mais il compte bien en avoir le cœur net: à l’aide de données obtenues dans des sondages du 21° siècle, lui et son co-auteur Voigtländer espèrent découvrir si une culture de la haine, à Würzburg ou ailleurs, peut aller jusqu’à résister au pilonnage par presque 1 300 tonnes de bombes alliées.

http://www.slate.fr/story/39289/juifs-hitler-haine-histoire-persistance