lundi 8 février 2010

Pendant la Shoah le Portugal ne voulut pas importer "le problème juif"

"Il n'y aucune raison d'ordre politique ou raciale pour que le Portugal s'occupe de ce problème [juif] qui n'existe pas dans ses territoires, et c'est précisément pour cette raison que nous ne sommes pas disposés à le voir y naître." (Note du ministère des Affaires étrangères de 1939)

Des enfants juifs partent du Portugal pour la Palestine, 1944

Source: traduction de la première partie d'un article de Nuno Guerreiro Josué repris du blog Rua da Judiaria -  mis en ligne le 27/01/2010 (Dia Internacional em Memória das Vítimas do Holocausto) - deuxième partie de l'article : Shoah: le Portugal aurait pu sauver des milliers de Juifs d'origine portugaise

Aujourd'hui, jour de la commémoration internationale du souvenir des victimes de l'Holocauste, et date du 65ème anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz, j'ai décidé de publier ici une lettre qu'a écrite l'ambassadeur du Portugal à Berlin au début de la Seconde Guerre mondiale. En sa qualité d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire dans la capitale allemande, entre 1933 et 1940, Veiga Simões [photographié à Berlin] observa de près, d'une part, la montée d'Hitler au pouvoir et, d'autre part, la détérioration des conditions de vie de la population juive allemande.

Dans les milieux diplomatiques de la capitale du Reich, Veiga Simões était connu comme un "anti-aryen" révolté par la façon brutale avec laquelle les nazis traitaient les Juifs.

Dans sa lettre l'ambassadeur témoigne non seulement de l'inhumanité nazie à l'encontre des Juifs, mais demande que soit accordée la nationalité portugaise à deux juifs qui exerçaient la fonction de consuls du Portugal à Francfort et à Nuremberg, Gustav Mayer-Alberti et Eduard Lindenthal, respectivement. Ce texte nous révèle un facette de la diplomatie portugaise de cette époque qui est encore très peu connue en dehors des milieux universitaires portugais.

Confidentiel.
Berlin, le 14 septembre 1938
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères

Excellence,

Dans sa poursuite de la persécution implacable des juifs, ce gouvernement a publié récemment des décrets contenant des dispositions qui vont créer une situation qui rendra la vie d'une grande majorité d'entre eux complètement insoutenable.

On peut chercher autant que l'on veut mais on ne trouvera aucune solution pour assurer la simple survie de milliers d'Israélites qui se trouvent encore dans ce pays. Aux médecins, on interdit dorénavant d'exercer leur profession, même à titre privé, et on mettra fin aux baux de location de leurs cabinets d'ici la fin du mois. Aux commerçants, l'aryanisation progressive de toutes les branches commerciales, y compris le commerce de détail, va les dépouiller de tous leurs avoirs et les priver de toute possibilité d'activité. C'étaient ces deux catégories qui, chez les juifs, pouvaient jusqu'à présent subir, quoique avec beaucoup de difficultés, la situation qu'on leur fait.  Mais même à ça on va mettre un terme.

Une mesure finale et vexatoire vient d'être imposée à tous les juifs dont le prénom ne figure pas dans une liste publiée officiellement - qui fut selon les rumeurs qui courent élaborée dans le but de les limiter au maximum. Celle-ci consiste à ajouter , à partir du 1er janvier prochain, à leur propre nom et de l'utiliser dans tous les actes de leur vie sociale et privée le prénom "Israël" ou "Sarah" selon le sexe, faute de quoi on leur imposera des peines de prison et des amendes extrêmement sévères.


L'ensemble de ces mesures vont affecter certains consuls du Portugal dans ce pays sans que je puisse préciser le nombre - peut-être quatre - mais je voudrais nommer deux car je pense qu'ils méritent pleinement la considération du gouvernement portugais: les consuls à Francfort et Nuremberg, MM. Gustav Mayer-Alberti et Eduard Lindenthal, respectivement. Il s'agit de deux anciens fonctionnaires consulaires - le premier est âgé de 83 ans et est Consul du Portugal depuis 42 ans, le second l'est depuis plus de 20 ans. Ils ont toujours fait preuve au service de notre pays d'un parfait dévouement, rendant parfois des services très importants à cette légation, aussi bien en ce qui concerne les renseignements fournis que les services dont ils furent chargés, cela allant de paire avec une parfaite exécution de leurs fonctions consulaires à proprement parler. Les deux vont être affectés par les dernières dispositions juridiques du Reich à l'encontre des juifs et la situation dans laquelle ils vont se trouver dans quelques mois à peine sera tout à fait intenable. Et je viens d'apprendre, à titre privé mais de source diplomatique, que le gouvernement du Reich demandera bientôt à tous les gouvernements le remplacement de leurs consuls de race juive.

Il me semble que ces circonstances offrent l'opportunité au Gouvernement Portugais de considérer avec humanité le cas de ces deux vieux serviteurs et de leur offrir sa protection de la seule manière possible: en leur accordant la nationalité portugaise. Tous deux vécurent assez longtemps au Portugal. Je crois que leur séjour fut plus long que celui requis pour acquérir le droit de naturalisation, tous deux parlent correctement notre langue et l'État a reçu de leur part les plus précieux services qu'ils pouvaient fournir dans leur sphère d'action.

Ces considérations de justice humaine m'amènent à soumettre à V. Excellence la proposition concrète d'octroyer la nationalité portugaise aux deux fonctionnaires en question et de les dispenser de toutes les formalités d'usage qui ne soient pas indispensables. Il a été porté à ma connaissance que pour des motifs en rapport avec la guerre en Espagne, et ceci pendant sa durée, l'octroi de décrets de nationalité est suspendu.  Il m'incombe de faire remarquer à V. Excellence que, dans le cas en question, un délai de quelques mois rendra impossible une éventuelle résolution favorable car, dans un laps de temps très bref, les deux consuls subiront tous les effets de la nouvelle législation allemande.

Si V. Excellence daigne accorder une suite favorable à cette proposition, je puis l'assurer qu'elle aura accompli un noble acte d'humanité, digne d'un État qui n'oublie ni n'abandonne ses vieux et loyaux serviteurs, et qui est, en même temps, la seule récompense qui puisse être accordée aux deux consuls dont ils sont entièrement et à tous les égards méritants.

Pour le bien de la Nation
Veiga Simões
La lettre, on le sait aujourd'hui, fut classée sans autre forme de procès ou de considération – ce qui arrivait souvent aux rapports qui parvenaient au ministère des Affaires étrangères. En réalité, et indépendamment des sympathies politiques, l'État Nouveau [Estado Novo] pratiquait une une politique officielle de "non-ingérence" pour tout ce qui avait trait à la guerre et cette politique valait également pour l'aide humanitaire aux réfugiés.

Dans une note de 1939 du ministère Affaires étrangères, il était spécifié : "Il n'y aucune raison d'ordre politique ou raciale pour que le Portugal s'occupe de ce problème qui n'existe pas dans ses territoires, et c'est précisément pour cette raison que nous ne sommes pas disposés à le voir y naître".

Le "Juif étranger" fut déclaré "moralement et politiquement indésirable" par l'ancien Bureau de surveillance et de protection de l'État (PVDE) qui cherchait à restreindre au maximum leur entrée au Portugal.

Nonobstant, le Portugal servit de plateforme à un certain nombre de réfugiés juifs pour échapper à l'Europe, et se diriger principalement vers les Etats-Unis, le Brésil et l'Argentine. (Pour en savoir plus sur eux, je suggère le film remarquable de Daniel Blaufuks "Under Strange Skies/ Sous des Cieux Etranges). Malgré les obstacles imposés par le gouvernement portugais, un nombre très réduit de juifs s'installèrent au Portugal.

1 commentaire :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Tous les processus sociaux ou psychiques sont-ils appréhendables ? Certains heurtent tellement l’homme que celui-ci a tendance à en rester sidéré, à les occulter ou à les refouler. Pourtant aussi inacceptables soient-ils, à une conscience, qu’ils apparaissent dans le tréfonds de l’individu ou sur la scène sociale et malgré la répugnance qu’ils peuvent susciter, il apparaît nécessaire de tenter, au moins de les élucider pour ne pas subir leur éternel retour.

Au lendemain des exterminations hitlériennes qui ont pu se produire dans une Europe évangélisée depuis plus de quinze siècles, le judaïsme se tourna vers ses sources. C'est le christianisme qui l'avait jusqu'alors habitué, en Occident, à considérer ses sources comme taries ou submergées par des eaux plus vives. Se retrouver juif après les massacres nazis, signifiait donc prendre à nouveau position à l'égard du christianisme, sur un autre plan encore que celui où se plaça souverainement Jules Isaac.

Il se trouve ainsi que la voix d'Israël n'est entendue dans le monde, en mettant les choses au mieux, que comme la voix d'un précurseur, comme la voix de l'Ancien Testament que nous autres juifs, selon un mot de Buber, n'avons aucune raison de considérer ni comme testament, ni comme ancien et que nous ne situons pas dans la perspective du Nouveau ...