dimanche 8 février 2009

Réflexions d'Enrique Krauze sur Gaza

"L'Holocauste représente la volonté (exécutée à 50%) d’éradiquer un peuple, de l'effacer, et de traiter des enfants, des femmes et des personnes âgées comme s'ils étaient un fléau et non des personnes. Cette extermination ne fut pas uniquement un crime contre les Juifs mais elle constitua un crime contre le concept même d'être humain."

"(...) je crois que la guerre de Gaza a provoqué deux attitudes inquiétantes : l'une frôlant l’antisémitisme et l'autre l’assumant ouvertement.

La première se distingue par la partialité affichée de certains médias quand ils donnent l'impression que l'offensive israélienne s’est produite (presque) dans un vide, sans qu’il y ait eu la provocation préalable des missiles tirés par le Hamas dans le sud d’Israël et la certitude qu’une nouvelle menace se profilait - celle que dans un avenir proche ceux-ci atterriront à Tel-Aviv.

Je crois que le fait (pourtant abondamment documenté, comme il le fut en particulier dans le Corriere de la Sera) que le Hamas a mis délibérément et par la force des civils en situation de danger de frappes militaires n'a pas été suffisamment souligné.

Cet empressement à condamner ne se vérifie pas dans le cas d’autres conflits : je pense à la guerre en Tchétchénie où des dizaines de milliers de personnes furent torturées et assassinées. Ce double standard moral reste inexplicable.

Nul n'a alors comparé les Russes aux Nazis. En dépit de leur conduite en Tchétchénie, une telle comparaison aurait été une infamie. Les Russes ont horriblement souffert aux mains des Nazis et les Juifs encore plus. Assimiler les victimes aux bourreaux est une perversité morale.

Il s’agit de la deuxième attitude, et elle est clairement antisémite.

Elle trouve son expression la plus courante dans un vil amalgame : l’assimilation (présente dans les manifestations à Madrid et à Barcelone) de la croix gammée à l'étoile de David, qui à son tour suppose l'assimilation (évoquée par plusieurs écrivains et éditorialistes importants) de l'Holocauste à la tragédie de la bande de Gaza.

Ce sont deux phénomènes distincts qui, en raison de leur nature et ampleur, ne peuvent pas être considérés comme homologues.

L’amalgame de tous les maux conduit à la banalisation du mal. Si 600 victimes innocentes sont équivalentes à six millions de victimes (malgré de fait que la mort de 6 ou 600 soit indubitablement à déplorer), alors le mal est relativisé et perd de son importance. Mais la différence de sens est encore plus décisive que la différence quantitative.

L'Holocauste représente la volonté (exécutée à 50%) d’éradiquer un peuple, de l'effacer, et de traiter des enfants, des femmes et des personnes âgées comme s'ils étaient un fléau et non des personnes. Cette extermination ne fut pas uniquement un crime contre les Juifs mais elle constitua un crime contre le concept même d'être humain.
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L'intelligence, la rationalité et la langue disparaissent si nous ne croyons pas que les êtres humains sont radicalement semblables.
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Dans le cas présent ce sont des fondamentalistes islamiques qui reproduisent l’état d'esprit des Nazis. Ils veulent oblitérer l'autre, à Jérusalem, à New York, à Madrid ou à Londres. Ni dans cette offensive, ni dans aucune autre, Israël n’a eu le dessein d’exterminer la population palestinienne (...).
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L’Espagne moderne et démocratique qui a été récemment victime du terrorisme islamique, ne peut pas ignorer – sans tomber dans la schizophrénie - que le Hamas cherche à imposer un régime fondamentaliste, et qu'Israël est le seul Etat démocratique dans la région. (...)"
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Enrique Krauze est un écrivain mexicain et directeur de la revue Letras Libres.
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Source: tribune reprise du site du quotidien espagnol El País
Titre original: El énfasis sospechoso
Via Eamonn McDonagh de Z-Word
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Dans l’éditorial, Enrique Krauze rappelle l’étude de l’institut Pew Research Center de Chicago qui révèle qu’en Europe c’est en Espagne que les préjugés antisémites ont le plus progressé depuis 2005, passant de 21% à 46%. Il évoque un autre sondage réalisé par l’Observatorio Español de Convivencia Escolar qui a mis en lumière que plus de la moitié des élèves espagnols de l’enseignement secondaire préfèrent ne pas s’asseoir en classe à côté d’un jeune Juif.

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