vendredi 12 mars 2010

Temps couvert en Europe, par Isaac Franco

"Joschka Fischer, ancien ministre allemand des Affaires étrangères, disait de l’Europe qu’elle ne serait guérie de ses démons que lorsque ses Juifs ne devront plus être protégés dans leur vie quotidienne, ou quand l’exigence de cette protection suscitera la saine indignation de leurs concitoyens. Nous en sommes loin, hélas."

Source: Primo

C’est vrai, la guerre passée, la situation de la communauté juive fut longtemps si enviable en Belgique que notre pays mérita ses témoignages unanimes de reconnaissance.  Mais ils sont peu nombreux désormais ceux parmi elle qui ignorent que le virus de l’antisémitisme achève, là, sous leurs yeux aussi, une nouvelle mue.

Il n’est pas contestable que les mécanismes de défense réagissent vigoureusement quand il s’exprime dans la même langue et s’habille des mêmes symboles d’hier, stérilisant le ventre de cette mauvaise mère et le prévenant ainsi d’enfanter un même danger demain. Mais, consciencieu- sement perverti, l’esprit de ce temps néglige cette autre langue et ces nouveaux symboles dans lesquels s’élabore le devenir de l’antisémitisme. C’est que, en effet, communiant dans une même détestation pour le Sionisme et une certaine idée de l’Amérique, il fabrique du racisme dans la langue de l’antiracisme et des droits de l’Homme et déshumanise au nom de l’Humanisme.

Si les Juifs étaient hier accusés d’être de nulle part, ils sont aujourd’hui justiciables du crime de se reconnaître et de se défendre dans le pays qu’ils ont recréé avec la caution de la communauté internationale. En somme, après la culpabilité et la honte pour les fautes et les abandons passés, c’est libre de s’irriter de leur évocation que le virus attaque aujourd’hui les Juifs avec l’outil créé pour les défendre, Israël.

La conscience ceinte d’un keffieh, Israël est ainsi chargé des péchés de ses procureurs, rhabillé en bourreau pour hâter de les soulager de leurs fautes d’hier et offert en sacrifice pour le rachat de leurs lâchetés passées ! Empruntant à la langue du débat politique, la critique obsessionnelle d’Israël permet de dire licitement un rejet vieux comme la haine des hommes à l’égard de ceux qui ne leur ressemblent pas assez mais qui leur sont en même temps trop semblables.


Comment, sinon, expliquer que trop peu des citoyens de nos pays s’offusquent de ce qu’un Juif, ses synagogues et ses écoles, doivent encore y être protégés ?

Joschka Fischer, ancien ministre allemand des Affaires étrangères, disait de l’Europe qu’elle ne serait guérie de ses démons que lorsque ses Juifs ne devront plus être protégés dans leur vie quotidienne, ou quand l’exigence de cette protection suscitera la saine indignation de leurs concitoyens.  Nous en sommes loin, hélas.

Et nous nous en éloignons davantage dans ce pays quand ses places publiques sont le théâtre de psychodrames qui suggèrent des symétries infâmantes entre Israël et l’Allemagne nazie ;

Quand les représentants de ses partis politiques démocratiques ne désertent pas une manifestation où retentissent pour la première fois depuis la Libération les cris de Mort aux Juifs ;

Quand ces partis diagnostiquent un handicap électoral dans la dénonciation de la résurgence de l’antisémitisme ;

Quand est affirmé sur ses chaînes de télévision le droit de rire de la Shoah et de ses victimes et celui de moquer les sensibilités outragées, ou quand y sont ignorés les mots Juif, génocide, Shoah et holocauste pour rendre compte du 65ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz Birkenau ;

Quand un de ses élus progressistes invite à la Maison des Parlementaires des représentants du Hezbollah et de la chaîne de télévision Al Manar, théoriciens contemporains de l’éradication des Juifs ;

Quand un autre progressiste charge la communauté juive des ratés de l’intégration d’une partie de nos concitoyens musulmans et qu’une de ses consoeurs voit de l’extrémisme dans le judaïsme et du colonialisme dans le sionisme ;

Quand un ancien quotidien de référence de la capitale présente un relais des thèses du Hamas et un apologiste des attentats terroristes sous les traits d’un éducateur et militant pour l’autodétermination des peuples ;

Quand, en pleine tragédie en Haïti, un ministre de la Coopération témoigne de l’inflexion humaniste de son parti en fantasmant sur une prétendue crise humanitaire à Gaza ;

Quand la section belge de la Ligue des droits de l’homme plaide la liberté d’expression pour un humoriste condamné trois fois en France pour propos antisémites, et dont la récente dénonciation du puissant lobby de youpins sionistes fait en ce moment l’objet d’une instruction judiciaire ;

Quand la page d'accueil de la Grande Mosquée de Bruxelles financée par l'Arabie Saoudite et dirigée par son ambassadeur en Belgique renvoie impunément à des sites au contenu antisémite et négationniste que réprime censément la loi ;

Quand les journalistes et les élus européens désertent largement la conférence du directeur du Government Press Office israélien organisée dans leur Parlement pour ne pas entendre les raisons d'Israël et épargner à leurs certitudes sur le conflit le plus médiatisé de la planète l'épreuve d'une autre grille de lecture ;

Enfin, nous nous en éloignons davantage quand, à l’instar du maire de la ville suédoise de Malmö, il peut désormais être suggéré sinon commandé à la communauté juive de se désolidariser d’un Israël dûment diabolisé si elle veut encore prétendre à une pleine place au sein de la communauté nationale.

Mais nous nous en éloignerons davantage encore si ceux qui parlent au nom des communautés juives européennes négligent d’interpréter l’humeur de ce temps et osent encore se proclamer aussi heureux qu’un Juif en France devant leurs interlocuteurs distraits.

Isaac Franco - Bruxelles

1 commentaire :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Israël peut encore puiser dans les ressources de son exception, c'est bien ici le problème de la
" question européenne " !


L’universalisme hébraïsant pose bien pourtant la question de la vérité du monde et de l’homme.

Cette évidence fut comprise cependant par les monothéismes qui tentèrent de détrôner par de nouveaux dispositifs (le christianisme) ou des surenchères contradictoires et maladroites (l’islam) une première révélation, qu’en rien ils n’enrichissent en termes de vérité intrinsèque ou d’apports vraiment nouveaux à la figure fragmentaire de l’homme rapporté avec la force d’un symbolisme indépassable à un Dieu nouveau, créateur unique et totalisant de l’infini.

En une figure inverse de celle du " ghetto " pourtant fidèle à une origine défendue, la sortie aux Lumières et dans le monde de la modernité gagna les juifs à une autre forme d’universalité. Dans la perte et l’oubli parfois ou le plus souvent le vouvoiement ou le tutoiement avec le proche, le judaïsme a été en mesure ensuite de foisonner, muter, inventer ou entrer en dialogue avec les autres cultures – et les savoirs – du monde. Il a pu alors réaliser dans des formes profanes diverses une essence profonde et jusque là inexprimée peut–être de lui–même. Le soi–disant mystère d’un génie juif ou d’une réussite exagérée de ses entreprises ne tiennent qu’à son potentiel d’ouverture et d’accueil inscrite dans une métaphysique à l’authenticité abyssale contenue par une vraie sagesse et un humanisme jamais discriminant ...

Apparemment la singularité exceptionnelle de l’hébraïsme – exceptant, séparant les juifs des autres peuples – lui aurait nui ou aurait appeler des messages suppléants plus accessible et moins contraignants. Mais en quoi ? Les 613 commandements de la Torah ne sont–ils pas une formidable barrière – voulue d’ailleurs comme telle – à toute velléité de s’en approprier en masse, même si la conversion à l’identité hébraïque reste et fut possible. La difficulté intrinsèque d’y obéir, les obligations ainsi créées, individuelles et collectives, l’impossibilité à la limite de s’acquitter en totalité de l’exigence divine extrême par essence, font en quelque sorte passer par son alambic, la distillation morale de l’homme