"Le syndicat n’exclut personne de la communauté universitaire mondiale, sauf les Israéliens. Pas antisémite, dit-on. Le syndicat invite un syndicaliste sud-africain à faire un tour en Grande-Bretagne pour appuyer le boycott – un syndicaliste qui était reconnu coupable de ‘discours de haine’ contre les Juifs par la Commission Sud-Africaine des Droits de l’Homme. Pas antisémite. Israël accusé de meurtre d’enfants. Pas antisémite. Israël contrôle la politique extérieure des Etats Unis. Pas antisémite. Les Juifs inventent l’antisémitisme uniquement pour invalider la critique d’Israël. Pas antisémite donc."
"On a converti la compassion pour les Palestiniens en une haine pour les Israéliens. On réserve toute compassion pour un parti et rien pour l’autre. Enfin la haine se substitue à la compassion et à la compréhension. Le but de ceux qui résistent à la délégitimation d’Israël doit rester l’antiracisme universel – en Israël, en Palestine, au Moyen-Orient et ici entre nous en Europe."
Source: Engage (Premier colloque européen de JCall, Le dimanche 19 juin, à la mairie du XIIIème, 1 Place d’Italie, Paris, de 9h30 à 18h), Robert Fine, Université de Warwick
D’abord je veux exprimer mon plaisir à assister à ce colloque européen de JCall et m’excuser pour mon français pénible.
Commençons par un rappel historique. Il y a six ans quelques activistes, longtemps antisionistes, ont réussi à gagner pour la première fois un vote dans notre syndicat, la Association of University Teachers, pour un boycott des universitaires israéliens. On a remis en question ce vote pour des raisons de procédure. Une assemblée spéciale a été convoquée par le syndicat. Beaucoup de délégués sont venus, y compris moi, et après un grand débat la proposition de boycott a été rejetée. Les opposants au boycott ont eu la majorité des voix et aussi à mon avis de meilleurs arguments.
Bien sûr un mouvement antisioniste a longtemps existé dans une fraction de la gauche. Dans les années quatre-vingts, le plus grand parti de la gauche radicale en Grande-Bretagne a appelé Israël ‘l’état illégitime’ et a refusé de reconnaître dans les universités les associations juives parce ce que l’on a pensé qu’elles étaient sionistes. Mais c’était la première fois que le mouvement antisioniste essayait de convaincre le syndicat de soutenir un boycott et il a perdu.
Pourquoi le parti du boycott a-t-il perdu à ce temps là? A mon avis il ne pouvait pas expliquer deux problèmes en particulier. D’abord, la question de ‘pourquoi Israël ?’ Il y avait beaucoup d’autres pays, bien sûr, où l’histoire de la violation des droits de l’homme était bien pire que les violations commises par Israël. C’est vrai que l’occupation du territoire palestinien mène nécessairement aux abus contre le peuple palestinien, mais le niveau des violations est quand même beaucoup moindre qu’en Chine ou au Sri Lanka ou en Syrie ou peut-être moindre que les abus commis par les forces Américaines et Britanniques en Iraq. Alors le premier problème: pourquoi sélectionner l’état juif ? Pourquoi exclure les universitaires israéliens et seulement les israéliens de la communauté scientifique mondiale? C’est sûr que ce n’était pas seulement une question de droits de l’homme.
Et puis la question de: pourquoi les universitaires? Pourquoi cette cible? Pourquoi tenir les universitaires responsables pour les actions de leur gouvernement? D’habitude dans le syndicat on apporte un soutien à la société civile contre un gouvernement ou un appareil étatique répressif. On supporte les syndicats étrangers contre leurs propres gouvernements. Mais cette fois c’est une exception à la règle. Cela a semblé bien imprudent car les universités israéliennes fournissaient un espace important pour des voix plurielles, y compris des voix pour la paix et des voix pour la fin de l’occupation. Il semble que le parti du boycott n’a pas fait la distinction essentielle entre le peuple et leur état et qu’il a voulu discriminer quelques universitaires à cause de leur nationalité.
De toute façon nous avons gagné et les boycotteurs ont perdu. On pourrait imaginer alors que c’était la fin de cette campagne mais en fait ce n’était que le début. Depuis, tout est devenu de pire en pire dans notre syndicat.
Premier problème: la rhétorique contre Israël est devenue encore plus fantasmagorique. Israël est assimilé à l’apartheid d’Afrique du Sud, le Sionisme au Nazisme, Gaza au ghetto de Varsovie. Les Israéliens rient quand les Palestiniens souffrent. Le Sionisme est essentiellement expansionniste. Le but du Sionisme est toujours la purification ethnique.
Deuxième problème: la rhétorique contre les supporters d’Israël est aussi devenue fantasmagorique. Le ‘lobby’ sioniste – ce n’est pas seulement un groupe de pression, c’est une puissance mondiale à laquelle même le gouvernement américain ne peut pas résister. Il est responsable des guerres: non seulement des guerres auxquelles Israël prend part mais aussi la guerre en Iraq et peut-être en Afghanistan. Nous entendons que le ‘lobby’ sioniste est si puissant qu’il peut forcer les journaux à ne jamais publier les critiques robustes d’Israël, si puissant qu’il peut forcer l’Union Européenne a appeler toute critique d’Israël ‘antisémitisme’, si puissant qu’il peut pousser la commémoration de la Shoah vers la défense des Juifs, uniquement des Juifs, et contre l’humanité universelle. Nous commençons à entendre que les victimes de la Shoah, les Juifs, sont devenus maintenant – selon un processus d’éducation intergénérationnelle - les bourreaux des Palestiniens. La plupart des Juifs, dit-on, sont devenus indifférents à la souffrance des autres.
Troisième problème: on voit le développement dans la rhétorique contre Israël et contre les supporters d’Israël des tropes classiquement antisémites pour comprendre et expliquer les conflits du Moyen-Orient. Quelques fois ces manières de voir antisémites sont bien vulgaires. Un petit exemple: une commission d’enquête des syndicats irlandais a récemment rendu compte d’une visite en Israël et Palestine. Le contenu était très critique à l’égard d’Israël et l’exposé décrit un meurtre rituel d’un prêtre par les ‘colons’ israéliens: ‘Il fut tué avec une hache de façon rituelle par les colons sionistes qui ont voulu purifier la région de toutes les traces de christianisme. Assassiné quand il faisait les vêpres, ses yeux furent arrachés et trois de ses doigts tranchés – les doigts avec lesquels il faisait le signe de Croix.’ On a écrit ce passage dans l’enquête d’un syndicat. Bien sûr cela a troublé la petite communauté juive en Irlande. Quand on parle des meurtres rituels par les colons – ou dans un autre exemple le vol des organes corporels par l’armée israélienne – on franchit une ligne.
Chaque année, depuis six ans, notre syndicat, qui est beaucoup plus large qu’avant et qui s’appelle maintenant UCU (University and College Union), propose un boycott des universités en Israël et chaque année la résolution est adoptée. Chaque année il y a un préambule qui dit que la critique d’Israël ne peut pas être considérée comme antisémite. On annule même la possibilité que certaines formes de ‘critique’ d’Israël puissent être antisémites.
Le syndicat n’exclut personne de la communauté universitaire mondiale, sauf les Israéliens. Pas antisémite, dit-on. Le syndicat invite un syndicaliste sud-africain à faire un tour en Grande-Bretagne pour appuyer le boycott – un syndicaliste qui était reconnu coupable de ‘discours de haine’ contre les Juifs par la Commission Sud-Africaine des Droits de l’Homme. Pas antisémite. Israël accusé de meurtre d’enfants. Pas antisémite. Israël contrôle la politique extérieure des Etats Unis. Pas antisémite. Les Juifs inventent l’antisémitisme uniquement pour invalider la critique d’Israël. Pas antisémite donc.
C’est le quatrième problème: la négation de l’antisémitisme. On dit que l’antisémitisme n’est plus un problème en Europe, que c’est un préjugé du passé, d’une époque révolue, et qu’il n’existe plus dans la nouvelle Europe post-nationaliste. Et s’il y a de l’antisémitisme, c’est d’abord la faute des Israéliens et de leurs supporters. Il ne faut pas exprimer la peur de l’antisémitisme, car on répond que les ‘pourvoyeurs de l‘antisémitisme’ (c’est le mot utilisé par Alain Badiou) sont fondamentalement malhonnêtes et réactionnaires. Cette réponse est ce que David Hirsh appelle la ‘Livingstone formulation’ en référence à l’ancien maire de Londres.
Maintenant le parti du boycott annonce que la définition de l’antisémitisme avancée par la commission monitoring de l’Union Européenne est invalide parce qu’elle confond la critique d’Israël et l’antisémitisme. Ce n’est pas vrai, bien sûr, mais le syndicat a voté pour se débarrasser de cette contrainte sur la parole libre, sur la liberté d’expression, et quelques intellectuels antisionistes ont assuré que le syndicat n’a rien fait de mal. Quelle formulation de l’antisémitisme est mise en sa place? Aucune. Ici on attaque le coeur des institutions de la nouvelle Europe, on fait marche arrière dans la lutte Européenne contre cette haine tenace.
En cinq ans beaucoup de choses ont changé. Plusieurs Juifs et démocrates sont sortis du syndicat à cause du boycott; de dedans et du dehors des critiques parlent du racisme institutionnel dont le syndicat fait preuve; Engage, le mouvement contre le boycott et contre l’antisémitisme de la gauche, continue à fonctionner; et les accusations d’antisémitisme qui sont portés contre le syndicat sont absolument rejetées par l’exécutif.
Jusqu’ici les gagnants sont évidemment le parti du boycott. Et qui sont les perdants? A mon avis, ce n’est pas le gouvernement réactionnaire en Israël ou les juifs ultranationalistes. Les perdants sont surtout les voix pour la paix, les voix contre le racisme n’importe où, les voix qui veulent entendre les voix des autres. On a converti la compassion pour les Palestiniens en une haine pour les Israéliens. On réserve toute compassion pour un parti et rien pour l’autre. Enfin la haine se substitue à la compassion et à la compréhension. Le but de ceux qui résistent à la délégitimation d’Israël doit rester l’antiracisme universel – en Israël, en Palestine, au Moyen-Orient et ici entre nous en Europe.
Ce site est dédié aux millions d'Européens qui, malgré d'incessantes campagnes de désinformation, ne croient pas que les Juifs ne sont capables que du pire; ne dissimulent pas leur antisémitisme dans le langage de l'antisionisme; et savent qu'Israël représente ce qu'il y a de meilleur dans une démocratie.
mardi 21 juin 2011
Le mouvement de boycott en Grand- Bretagne et la délégitimisation d’Israël, par Robert Fine
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1 commentaire :
Plusieurs université britaniques sont financées par des pays arabes. http://www.blogger.com/comment.g?blogID=2562436632473375559&postID=2365634449249751028
PS: la chaire de frère Taric Ramadan à la Faculté de Théologie d'Oxford a été entièrement financée par la Qatar.
Franco
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