jeudi 4 juin 2009

La face cachée de Voltaire, Nathalie Bitoun

François Marie Arouet. Voltaire, dans la mémoire collective des Français. Son nom à lui seul fait partie du patrimoine commun de la République et symbolise la fin de l'obscurantisme de l'Ancien régime. Son nom à lui seul renvoie à cet homme de lettres - qui souhaitait être reconnu pour ses pièces de théâtre - symbole de la philosophie éclairée qui inspire la France et les pays occidentaux jusqu'à aujourd'hui. Et c'est à travers quelques-uns de ses contes, comme Candide ou Zadig, que le philosophe s'est frayé une place dans l'éternité. Dans ces textes incontournables, Voltaire instille des éléments fondamentaux de sa doctrine des Lumières, dont Condorcet dira qu'elle se résume en un cri de guerre : "Raison, Tolérance, Humanité".

"La raison". Fer de lance du mouvement des Lumières. Pour ne pas laisser se propager les passions. La raison et la rationalité deviendront presque sa religion, et tout en affichant un déisme ouvert, Voltaire fera montre d'une répulsion face à tout esprit religieux. "L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer, Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger." Car, à "esprit religieux", Voltaire associera bien aisément le fanatisme, une folie sombre et cruelle, une maladie "qui se gagne comme la petite vérole" (Dictionnaire philosophique, article Fanatisme, 1764). Et en luttant contre un certain fanatisme, celui de l'Eglise catholique, Voltaire tombera dans les méandres d'un de ces termes en "isme" qui jettent l'opprobre sur ses intentions d'humanité et de tolérance : l'antisémitisme.

"Les Juifs, la plus détestable nation qui ait jamais souillé la terre"

"Tolérance". C'est sous cet article du Dictionnaire philosophique que Voltaire répand son venin de bourgeois sachant, qui plus est, de philosophe éclairé. Car certains grands historiens et philosophes n'hésitent pas, aujourd'hui, à désigner Voltaire comme "le pire antisémite français du XVIIIe siècle". François Marie Arouet exécrait les Juifs. Détenteurs de la foi monothéiste, et "propriétaires du Livre", Voltaire se plaît à énumérer les infamies qu'il attribue à l'Ancien Testament et à ses fidèles. Ces "animaux calculants" comme il les appelle, n'étaient pas voués à participer à la vie politique, sociale et culturelle de son pays. Voltaire tolérait ce peuple qu'il souhaitait voir rester en périphérie du monde civilisé. La violence et la conviction de ses propos surprennent, pour qui considère Voltaire comme le père de la Raison, érigé en totem.

"Vous ne trouverez en eux (les Juifs) qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler."
Dictionnaire philosophique, article Juifs.

Face à ces diatribes antisémites, face à ce combat rétrograde et obscur pour un homme de son envergure, les Juifs ont leur avocat. Masqué, en ces temps de révolution des idées, un érudit défendra, avec fond et forme, le peuple du Livre malmené.

L'Abbé Guénée, ou le défenseur du racisme de robe
Si Voltaire était réputé pour ses contes philosophiques, ses pièces de théâtre et autres poésies lyriques, la correspondance constituait une partie importante de sa production écrite. Epistolier prolifique, ses lettres nous renseignent sur certains traits méconnus de sa personnalité. C'est ce que mettent en avant ces "Lettres de quelques Juifs à M. de Voltaire" rééditées par les éditions Kirouv.
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Au fil d'une dizaine de lettres, l'abbé Guénée, un prêtre français, emprunte le déguisement de quelques Juifs polonais, allemands et portugais, pour répondre aux attaques de Voltaire contre leur peuple. Antoine Guénée, ce grand érudit et précepteur des neveux de Louis XVI, est licencié en droit. Postulant au Chapitre cathédral de Sens, puis de Paris et de Reims, sa requête se verra toujours rejetée. Il se réfugie ainsi dans une carrière professorale, comme exutoire d'une institution ecclésiastique qui n'a pas voulu de lui. Grâce à ses mérites, il se voit attribuer une pension, qui lui permet de se consacrer durant plus de vingt ans à l'étude de l'Ancien Testament et des prophètes en hébreu, dont il devient un grand spécialiste.

C'est donc sous sa plume que paraissent ces "Lettres de quelques Juifs à M. de Voltaire" où l'abbé Guénée fait rebondir le débat que le philosophe lance sur les Juifs. A l'approximation du savoir de Voltaire en la matière, Antoine Guénée oppose, dans un style brillant, une exactitude des faits bibliques, un raisonnement logique, dénué de toute mystique. Ses réponses sont caustiques, acerbes et aiguisées. Cet "honorable adversaire", comme le qualifiait Voltaire, se travestit en Juif pour mieux défendre le peuple opprimé. L'Ancien Testament défendu par un abbé, ou comment l'Eglise, sous couvert d'un anonymat salvateur, prendra fait et cause pour la religion mère.
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Traduites et publiées en Irlande et dans toute l'Amérique dès 1777, ces lettres ont connu un succès retentissant avant de disparaître sous le Second Empire, en 1863. L'image et la puissance philosophique de Voltaire y étant largement mises à mal, les fondements des nouvelles républiques d'alors risquaient d'en être lourdement entachés. Ainsi, ces lettres renaissent de leurs cendres, pour notre plus grand intérêt avec "intelligence, richesse et précision", comme le souligne Jack Lang, dans sa préface aux correspondances. Aussi judéophobe qu'elles aient pu être, les idées de Voltaire n'étaient pas toujours hostiles aux Juifs. Empreint de principes libertaires et universels, le philosophe a d'une certaine façon servi la cause des Juifs de France. Edouard Drumont, cet antisémite notoire, dira d'ailleurs de lui qu'il avait "l'âme juive".

"Des principes juifs récurrents dans ses textes, puisque Candide exprimait dans des élans bibliques voilés que "tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possible", exhortant chacun à "cultiver son jardin". Une traduction à la mode des Lumières du très juif "Gam Zou Letova" (tout est pour le mieux).
Lettres de quelques Juifs à M. de Voltaire, éditions Kirouv, 2009.
Source: texte de Nathalie Bitoun repris dans le Jerusalem Post

1 commentaire :

Anonyme a dit…

INTERESSANT DE DECOUVRIR - PAR HASARD - L'ABBE GUENEE. IL A EU L'AUDACE D'OPPOSER LA RAISON AUX PREJUGES DU GRAND VOLTAIRE DONT LA PERSONNALITE, SI GRANDE FUT-ELLE, A ETE ABUSEE PAR L'ENSEIGNEMENT DE XV SIECLES DE MEPRIS PAR UNE EGLISE QU'IL ABHORRAIT POURTANT.AINSI VA LA FRANCE: TOUJOURS DES VOIX POUR S'ELEVER CONTRE "LE SILENCE DE L'ABJECTION" DENONCE PAR CHATEUABRIAND.G.A.