jeudi 28 mars 2013

Seul l'antisémitisme "cultivé" mérite qu'on s'en indigne et s'en inquiète?

WELCOME TO REALITYVILLE, par Isaac Franco - Bruxelles - 27 mars 2013

"Je tiens […] à exprimer un ras-le-bol certain. Comme président du CCOJB, j'ai fait depuis mon entrée en fonction, preuve de retenue et de modération mais les récentes affaires sont les gouttes qui ont fait déborder le vase. Leur gravité plaide pour qu'on sorte de l'attentisme actuel […] il faut intervenir. Très vite!"  La teneur des propos tenus par Maurice Sosnowski (président du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique) lors de l'interview croisée avec le codirecteur du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme Edouard Delruelle (la Libre Belgique du 23 mars dernier) prévient-elle enfin ce changement de braquet indispensable de la part de l'institution faîtière des organisations juives francophones devant la nouvelle forte poussée de l'antisémitisme en Belgique?

On l'espérerait si l'homme n'avait attendu le milieu de son second mandat pour enfin s'interroger sur les évidentes limites de la retenue et de la modération qui auront grevé le bilan de sa gestion des affaires communautaires ces trois années écoulées…

Commentant ces récentes affaires (celle de l'analyste Claude Moniquet traité d'"ordure sioniste" par le député PS bruxellois Jamal Ikazban, et celle autre de la caricature antisémite retenue par le PS Molenbeek et le PAC local - Présence et Action culturelles, une organisation d'éducation permanente intimement liée au PS - pour annoncer le débat "Et si on parlait librement et sereinement du sionisme?" dans la commune) et l'absence de réaction du personnel politique à l'exception notable des parlementaires Alain Destexhe et Jacques Brotchi, le président du CCOJB dit sa "peur de la proximité des élections" et de la lâcheté des "politiques [...] pour engranger le vote de certaines communautés".

"Le problème - note-t-il dans cet éclair de lucidité - vient de certaines mosquées infiltrées par des fondamentalistes alors que les musulmans modérés sont devenus inconséquents et ne bougent plus. C'est un peu comme les Allemands qui par leur silence et leur manque de réaction ont fini dans l'entre-deux-guerres par installer les nazis au pouvoir. Y compris dans le chef des politiques démocrates de l'époque".


Et de conclure, faisant écho au même constat déjà dressé pour leur pays respectif par les plus hautes autorités politiques allemande, britannique ou néerlandaise, que "le multi- culturalisme belge est un échec […] Assez de paroles, des actes. Puissent-ils (les membres du personnel politique) méditer la parole d'Einstein: "Le monde est dangereux à vivre! Non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.""

"Nous comprenons que le CCOJB ait des paroles très fortes […] L'inertie actuelle terminera par des drames", lui répond le représentant du Centre pour l'égalité des chances. Et aussi, "Nous sommes complémentaires; le centre n'est pas pusillanime." Voire …

Le problème avec le Centre est en effet que si la "détestable caricature atteste" bien de la vigueur d'un "antisémitisme séculaire", son codirecteur néglige allègrement de rapporter que ce dessin ignoble ressortit désormais plus volontiers au registre de la dernière mutation du virus antisémite, celle qui fait d'une certaine gauche prétendument progressiste et de populations récemment immigrées elles-mêmes discriminées les nouveaux vecteurs de cette haine ancestrale, qu'à celui de l'antisémitisme traditionnel d'extrême-droite.

Le Centre assène ensuite que "tous les arabo-musulmans belges ne sont pas antisémites" et que "toute une jeune génération veut un islam belge et joue à fond le jeu démocratique", superbement indifférent aux résultats choquants de l'enquête "Jong in Brussel" conduite par la KUL, la VUB et l'université de Gand en mai 2011 révélant que 50% des élèves musulmans sondés de la capitale sont antisémites! (1) Un élève sur deux (dont l'étude révèle en outre que les sentiments anti-juifs ne sont pas corrélés à un niveau économique, social ou culturel peu élevé…), cela représente aussi cinq fois plus (!) que leurs condisciples non musulmans, et une proportion alarmante d'une jeunesse prétendument engagée à fond dans un "islam belge" et le "jeu démocratique"!

Ne serait-ce pas assez accablant pour dénoncer, en sa qualité de codirecteur du Centre, le silence des "musulmans modérés" plutôt que de privilégier le confort d'affirmations convenues en partie contestables? Comment le Centre ne craint-il pas de déresponsabiliser ces "modérés musulmans" à force de les exonérer du devoir de parler en leur nom? Serait-ce qu'il craint plutôt que les seconds ne parlent pas si le premier ne le faisait à leur place? En d'autres mots, le plaidoyer du Centre en faveur de ces "musulmans modérés" ne travestit-il pas le sens de leur silence?

Auquel cas, le rôle du Centre serait pire qu'inutile. Il en deviendrait dangereusement contreproductif dans la mesure où il contribuerait à occulter un problème qui hypothèque lourdement le "bien vivre ensemble". Une menace d'autant plus aiguë qu'en brouillant également la perception des dangers qui menacent ce "bien vivre ensemble", le Centre accentue le fossé d'incompréhension qui sépare certaines élites autoproclamées des citoyens anonymes, et finit par grossir les rangs des extrémistes et des populistes contre lesquels il prétend oeuvrer.

C'est ainsi que, pour le Centre, la lutte contre ce nouvel antisémitisme suppose un même engagement que celui contre "toutes les dérives comme celles de "La France, orange mécanique" le livre de Laurent Obertone où il y a un amalgame scandaleux entre la délinquance et l'immigration", alors que cet ouvrage pose la question légitime - iconoclaste pour le Centre et les Maccarthistes salonnards - des conséquences d'une immigration incontrôlée et d'un déficit criant d'intégration de ces nouvelles populations sur l'explosion de la délinquance et l'ensauvagement de la société française.

Et peu importe pour ce Centre "chèvrechoutiste" si trois Français sur quatre (enquête Ipsos/Le Monde "France 2013: les nouvelles fractures", janvier 2013) et une proportion vraisemblablement équivalente de nos compatriotes expriment un même malaise face aux conséquences pour le moins hasardeuses d'un projet de métissage culturel de matrice idéologique sur lequel ils n'ont par ailleurs jamais été consultés…

Comme on ne résout pas un problème en niant ou minimisant la réalité de sa nature et de sa portée, la question est en somme de savoir si ce Centre pour l'égalité des chances est une partie de la solution au problème posé par cette recrudescence de la fièvre antisémite dans notre pays, ou s'il n'est pas plutôt une partie du problème...

Mais il est exact que si le Centre a estimé pouvoir écrire dans un communiqué du 11 mars dernier que la caricature utilisée "ne relève pas de l'incitation à la haine au sens de la loi antiraciste" bien qu'elle soit "bel et bien à caractère raciste et antisémite", il aura été bien aidé par un centre communautaire juif à prétention humaniste qui lui en aura inspiré le texte, comme il inspire d'ailleurs depuis trois ans la "retenue", la "modération" et l'"attentisme" à un président du CCOJB prêt, suggère-t-il, à les jeter enfin aux orties.

Dans un article de ce même 11 mars ("Caricature antisémite: ne nous trompons pas de cible!"), deux des représentants du CCLJ écrivaient ainsi que "des militants du PAC Molenbeek de bonne foi, mais tout simplement incultes en matière de caricatures antisémites ont tout simplement (ce sont les auteurs qui soulignent…) reproduit une illustration qu'ils ont trouvée sur internet en introduisant "sionisme" dans le moteur de recherche. Et comme de nombreux internautes, ils ont copié l'illustration pour l'utiliser ensuite…L'histoire de l'annonce de cette conférence" était "en réalité beaucoup plus banale et plus triviale que certains veulent croire."… Rien de bien grave, en somme.

On ne sait s'il faut attribuer à l'aveuglement partisan ou à une forme aiguë d'indigence intellectuelle le fait de plaider la "bonne foi" de tels militants, et de soutenir que "la question fondamentale" porterait ici sur le point de savoir pourquoi il est "difficile, voire impossible, de parler du sionisme librement et sereinement"(2), alors que la réponse à cette question est toute entière contenue dans le choix d'une caricature aussi "chargée" pour la poser. Sauf à considérer que seul l'antisémitisme "cultivé" mérite qu'on s'en indigne et s'en inquiète, il devrait peu importer que les responsables de ce choix infâme soient incultes, antisémites bas de plafond, diplômés de Science-Po ou spécialiste en histoire de la caricature! L'inculture de Fofana le Barbare ou de Merah le Djihadiste en matière d'antisémitisme inviterait-elle plus à l'indulgence que la "patine" d'un Streicher ou d'un Goebbels?

On ne sait pas non plus, même si on le devine sans trop forcer l'imagination, ce que ces sommités auraient - avec raison - écrit des responsables du choix d'une telle caricature si, plutôt que d'appartenir à "une organisation sérieuse comme le PAC avec laquelle le CCLJ avait déjà mené des projets communs, notamment en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme", ces "garnements ingénus" n'étaient pas de leur bord politique.

Comment s'étonner alors que le communiqué du Centre et l'article du CCLJ soient datés du même jour et qu'on lise dans le premier ("Le Centre condamne cette utilisation - de la caricature - qui relève, comme l'a justement dit le CCLJ, "d'un manque total de culture politique"" ) l'essence même de ce que l'on trouve dans le second?

Il y a aussi que pour achever de convaincre ses lecteurs de prendre des vessies pour des lanternes, le CCLJ écrit ce 11 mars que "les autorités socialistes compétentes ont également pris la mesure de la dimension antisémite de cette caricature". Pas de quoi donc "se lancer dans une chasse aux sorcières contre le PAC" et "inutile de se focaliser sur une procédure disciplinaire ou judiciaire". Oui, nous dit le CCLJ, pas même disciplinaire.

Affaire classée donc comme nous y invitent les représentants de ce même centre communautaire dont un éminent représentant saluait il n'y a pas si longtemps les "capitaines courageux" des "flottilles humanitaires" pour Gaza, et traversait la ville en hâte pour immortaliser, devant un photographe, sa poignée de main émue avec un vieillard indigne capable de concurrencer Le Pen dans l'abjection en affirmant que "l'occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l'occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive" (Stéphane Hessel au Frankfurter Allgemeine Zeitung, 21 janvier 2011)?

Ce n'est pas ce que pense Merry Hermanus, ancien chef du PS bruxellois, dans une déclaration rapportée le 15 mars par le Vif L'Express: "J'ai été absolument sidéré" (en découvrant le 4 mars la caricature antisémite). "Voir cela, en 2013, dans un parti de gauche, c'est affolant. Je n'ai pas d'explication. Le PS ne communique pas là-dessus. Nos valeurs sont restées étrangères à une grande partie des populations sans lesquelles le PS serait réduit à 8 ou 9% de l'électorat bruxellois. Nous en sommes devenus prisonniers…Il faut crever l'abcès. Cette affaire de caricature doit être l'occasion de réaffirmer nos valeurs…Si, sur un sujet tel que celui-là, les socialistes ne réagissent pas, on ne va plus bouger car on touche à l'os de la démocratie. L'Histoire nous a montré comment des hommes de gauche pouvaient basculer du côté d'un pouvoir autoritaire. Je suis très inquiet pour le PS."

Si Merry Hermanus est justement inquiet pour l'avenir du PS et de la démocratie dans ce pays, celui de la communauté juive inquiète plus encore…
Isaac Franco - Bruxelles - 27 mars 2013

(1) Une enquête sur les sentiments antisémites des élèves musulmans d'Anvers et de Gand conduite par ACCO Leuven en février 2013( "Jong in Antwerpen en Gent") conclut à des résultats plus alarmants encore dans la ville portuaire.
(2) Une conférence sur ce thème se tient ce jeudi 28 mars au CCLJ.

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