La trahison ne s'efface pas, par Yann Moix, Le Figaro
"Il ne croyait plus au Dieu de son père, il ne croyait pas aux histoires que racontaient les gens du ghetto car, pour lui, la mort de Dieu jetait une ombre sur tous les discours." Un juif qui ne croit plus au Dieu de son père : telle est la seule manière, nous dit André Schwarz-Bart, de faire mourir Dieu. Aucun kapo dans aucun camp ne parviendra jamais, de ses coups de crosse, chiens loups bavant, à suicider le Nom : seuls les fils d'Abraham ont le terrible pouvoir, à force d'oubli, d'ensevelir Dieu. Nous ne parlons pas du Dieu de Jésus, Père d'un Christ dont le bras s'abat sur tout un peuple, et jusqu'à la dernière goutte de sang de son ultime membre : "Le Christ était plus roi en Pologne que partout ailleurs dans le reste du monde, et n'existait nulle place où aller se réfugier sans que le Christ ne nous rattrape." Le Christ Jésus, issu de la semence de David selon la chair (Romains, I, 1-3), sous couvert de fraternité, et avec le visage de la modernité, de la sécularité, répand au sein même du sang de ses frères une terreur perpétuelle.
Être juif, c'est in fine ne pouvoir se réfugier nulle part, n'avoir plus de lieu où aller. C'est se rendre compte que les derniers lieux possibles de refuge sont définitivement chrétiens, c'est-à-dire tragiques, puisque privés de la mémoire sinaïtique. L'Étoile du matin doit se lire comme une théorie du Mal, mais le Mal n'est jamais théorique. Cercle vicieux : les juifs sont lancés, depuis la Croix, dans un processus de chasse à l'homme permanent. Et les ghettos, et les camps nous ont montré, redit l'auteur du Dernier des Justes, qu'être juif, c'est l'être hic et nunc, puisque c'est ici et maintenant qu'il est désigné comme tel, sous nos yeux qu'il est destiné aux enfers et voué contre son gré à l'Histoire et ses horreurs. Pour le Christ, la révolution est l'abolition du judaïsme, sans doute, et on entrevoit entre ces lignes la griffe, émouvante et sûre, docte et digne, du Jules Isaac de Jésus et Israël, quand ce compagnon de mon cher Péguy dénonçait les responsabilités de l'Église dans la malédiction génocidaire.
La Pologne, ici, ce n'est pas le "nulle part" d'Ubu Roi, qui est un nulle part géographique, une ironie de géographie, une Pologne de l'imaginaire et de la farce : c'est un nulle part de souricière, de cul-de-sac, un nulle part qui signifie la fin de tous les refuges, de toutes les issues imaginables, envisageables, possibles. La Pologne fut ce pays, devenue capitale mondiale de la honte, qui vit tout espoir de fuite non seulement vain, mais ridicule. Pire : ridiculisé. Ce fut le lieu de l'impossibilité suprême, de l'inévitabilité ontologique. Le pays, non seulement dont, moi, juif, je ne peux m'échapper, mais le pays qui a refermé sur moi ma propre définition, celui qui a fait que, du juif que je suis, je ne saurai jamais m'échapper. La Pologne de Cracovie et d'Auschwitz comme absolu de la réalité juive : je ne suis pas seulement traité comme un chien ; mais je suis fait comme un rat. C'est ainsi, pour Schwarz-Bart, que le Christ advient : que boirons-nous quand le Messie viendra ? Mais le rabbin parle d'un autre Messie ; celui de Rachel, pas celui de Hitler. La thèse est violente, d'un Auschwitz annexe du Vatican, d'un Birkenau corollaire de l'hostie. Aujourd'hui, il n'est plus question de cela : mais la trahison ne s'efface pas.
L'ÉTOILE DU MATIN d'André Schwarz-Bart, Seuil, 250 p., 17€
Ce site est dédié aux millions d'Européens qui, malgré d'incessantes campagnes de désinformation, ne croient pas que les Juifs ne sont capables que du pire; ne dissimulent pas leur antisémitisme dans le langage de l'antisionisme; et savent qu'Israël représente ce qu'il y a de meilleur dans une démocratie.
2 commentaires :
Quelle est la place du religieux pour l’identité juive ? Pour appréhender une population aussi dispersée, le religieux n’est-il pas la meilleure grille ? Il y a deux cents ans, la clef religieuse pouvait à la rigueur faire l’affaire mais les temps ont changé et le paramètre religieux semble devoir s’estomper au profit d’autres.
Des Juifs se sont laïcisés, parfois "convertis" au christianisme, ils ont fait l’objet de tentatives de regroupement (sionisme) et d’extermination (nazisme) qui n’ont certes pas pleinement abouti, mais qui ont tout de même connu un sérieux commencement d'exécution !!!
[au passage, voir le commentaire de haute volée d'arthur 006 sur le site du Figaro - "Encore un malade mental/02/11/2009à 13:41.
Ce pauvre type se complait dans l'autoflagellation et la victimation permanente.
Franchement, à lire l'article, on se demande comment font pour vivre les Karouchi, Dassault, Fabius, Lang, Klasfeld, Simone Weil, Drucker père et fille et tous les autres qui en France ont l'air plutôt content de leur sort."]
À cette "tête creuse", je dirais que des siècles durant, le Juif s’est caché derrière la façade du religieux, faute de mieux. Et il est vrai que cela était facilité par l’émergence du Christianisme et de l’Islam, deux religions se référant, chacune à sa façon, aux Juifs, sur un plan non seulement religieux mais historique. Mais une fois la façade religieuse peu ou prou ébranlée voire évacuée, du fait du déclin de la référence religieuse en Occident, du fait de la montée du racisme, du fait du sionisme, l’on s’aperçoit que le Juif maintient certains traits distinctifs qui ne sont pas de l’ordre du religieux. On pense à la chenille devenant papillon, à une certaine métamorphose du Juif ou à la fin de quelque hibernation.
Les Juifs sont toujours là, le christianisme a échoué en tant que projet de judaïsation du monde, c’est-à-dire d’abolition de la dualité sociale (Juif/non-Juif). Le christianisme -du moins tel qu’il avait fini par devenir - était un cheval de Troie permettant au monde non-juif de pénétrer au sein du monde juif ... L’on peut penser que si un tel calcul échoua, c’est précisément parce que la programmation dualiste était autrement plus profonde, plus ancrée qu’on ne le pensait. Cette résistance du judaïsme par rapport à un christianisme qui se voulait un judéo-christianisme est un indice fort de l’existence de paramètres plus profonds, de l’ordre de la phylogenèse et non de l'ontogenèse.
Le nazisme, en voulant exterminer les Juifs, aura repris ce programme d’abolition d’une société dualiste, avec des moyens autres que ceux du christianisme à moins que cela n’en ait été que le prolongement. Il n’en est pas moins vrai qu’un tel projet dut trouver - objectivement - quelque écho dans la sensibilité chrétienne.
Ce qui fait problème, c’est le mimétisme des non-Juifs à l’égard des Juifs bien plus que l’assimilation des Juifs dans telle ou telle société, ce qui empêche de reconnaître le Juif comme radicalement autre, tout comme l’homme reconnaît sa différence à la femme. Le paradoxe, c’est qu’il est plus facile d’accepter de vivre avec celui qui est autre, qui est d’une autre nature qu’avec celui qui est jugé identique mais se prétend vainement autre. Au bout du compte, les seules différences qui sont admises, ce sont celles qui sont perçues comme inhérentes à la nature humaine et non pas celles qui apparaissent comme aléatoires et surtout comme inutiles. Or, affirmer que les Juifs sont partie de l’organicité humaine - ce qui n’est pas le cas des arabes, ni des musulmans, ni des maghrébins qui sont des épiphénomènes, des avatars, c’est exclure qu’ils puissent vivre coupés du reste du monde. Quand un organisme est malade, on s’efforce de le guérir, on ne va pas pour autant séparer les organes et les faire fonctionner séparément. Le Juif se situe dans la synchronie, c’est-à-dire dans la structure alors que le non-juif existe dans la diachronie, c’est-à-dire ne fait qu’assumer une des multiples variations par lesquelles l’Humanité passe. Une chose est d’être un organe - de la main à l’estomac - pouvant s’appliquer aux choses les plus diverses, une autre d’être un de ces objets saisis à un moment donné par le dit organe. Il serait bon que les non-juifs assument leur unicité face aux juifs au lieu d’affirmer leur diversité en voulant ne faire des Juifs qu’une manifestation parmi d’autres de la dite diversité. Finalement, ne vaudrait-il pas mieux parler de juifs et de "non juifs", ce dernier terme englobant tous ceux qui, par delà leur culture, leur religion, leur langue, n’appartiennent pas héréditairement à l’ensemble juif, plan qui n’autorise pas, quant à lui, les mimétismes, qui ne ment pas ?
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