Source: EJP
EJP : pourquoi êtes-vous aussi pessimistes sur l'avenir d'Israël ?
"Nous ne sommes ni optimistes ni pessimistes dans ce livre, nous nous contentons de collecter des faits. Nous tenions beaucoup à cette approche sobre, méthodique fondée sur la recherche empirique car la dernière des choses dont les parties en présence ont besoin est d'un surinvestissement, d'une surenchère passionnelle et idéologique supplémentaire, dont elles sont, hélas, trop souvent les victimes.
Les multiples dérives et la surreprésentation du conflit israélo-palestinien participent, dans des proportions non-négligeables, au conflit en tant que telles. Nous avons donc ausculté les idoles à l'aide d'outils analytiques rigoureux, en essayant de dédramatiser les débats et en tentant de proposer une prospective s'appuyant sur une réalité non partisane, ou si vous préférez bi-partisane. Et ce, pour deux raisons : d'abord, parce que c'est la seule option juste, raisonnable et garantissant, à l'aune du processus historique à long terme, les meilleures chances de survie pour Israël, et d'autre part, pour évacuer toutes les pseudo questions écœurantes de suspicion d'ethnicisation de la pensée politique, qui polluent depuis plusieurs années les débats publics, et nous attacher au contraire à la réalité purement factuelle.
Or, les faits montrent à l’évidence le pourrissement d'une situation dont on ne voit pas ce qui pourrait contenir, à terme, la progression. C'est la raison pour laquelle nous soutenons, en effet, que la disparition d'Israël est devenue possible. Nous ne disons donc pas qu'elle se produira mais nous mettons en évidence un faisceau d'éléments et plusieurs tendances lourdes qui, si elles ne s'inversent pas par une prise de conscience collective et une politique résolument volontariste, risquent de conduire à moyen terme à la disparition d'Israël.
Il faut être clair sur ce point. Aucun de ces facteurs considéré dans sa singularité ne menace directement l'existence d'Israël mais leur concomitance, en revanche, est particulièrement dangereuse. Et quand on les examine, on ne voit pas ce qui viendrait infléchir les tendances. Si l'on se penche, par exemple, sur le soutien américain à Israël, on voit bien les limites de cette alliance stratégique. La probable faillite de cette logique n’est pas imputable, comme on l'a honteusement entendu dire, aux origines de Barack Obama. Réduire ainsi les opinions politiques d’un homme à ses origines a quelque chose de réellement insupportable, et ce même déterminisme culturel enfermant les juifs et les musulmans dans des stéréotypes grotesques n’est pas non plus étranger au pessimisme que vous avez relevé dans certaines de nos analyses. Le problème du soutien américain n’a rien à voir avec la couleur de la peau du président américain, qui poursuit d’ailleurs une politique se situant en droite ligne dans le prolongement de la position traditionnelle des Démocrates sur le conflit israélo-palestinien. Par contre, ce qui risque réellement de se produire dans les décennies à venir, c’est un changement radical de la politique des Etats-Unis parce que l’ordre de ses priorités en matière de politique étrangère aura été profondément bouleversé.
Sachant que les populations américaines sensibles au sort d’Israël seront devenues minoritaires autour de 2050, que les Etats-Unis seront essentiellement tournés vers l’Amérique du Sud ou vers la Chine, on peut en effet se demander si les raisons qui les motiveraient encore à soutenir avec une telle constance l’Etat d’Israël seront encore d’actualité. Or, que deviendrait cet Etat sans le parapluie américain ? L’examen des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU montre qu’en l’absence d’un tel appui, le soutien de la communauté internationale serait particulièrement faible. Et cela peut se comprendre.
Nous ne vivons plus dans un monde bipolaire où Israël représentait un allié stratégique incontournable pour l’Occident face à l’influence des Soviétiques dans cette partie du monde. L’Europe se veut "équidistante", la Chine a impérativement besoin des ressources énergétiques disponibles dans le monde musulman pour assurer son approvisionnement - on a bien vu à quel point elle cherchait à ménager l’Iran dans la crise internationale qui se profile sur la question du nucléaire. Pourquoi dès lors privilégier des relations encombrantes avec un petit pays qui ne représente vraiment pas grand-chose en comparaison des grands pôles d’influence géopolitique ? Voilà l’un des points, parmi de très nombreux autres, que nous soulevons dans notre livre, qui met pour nous en évidence une évolution globalement peu favorable à la pérennité de l’existence d’Israël.
Mais nous donnons également des pistes destinées à éviter le pire : si l’on veut réellement que le conflit cesse, qu’Israéliens et Palestiniens puissent vivre en paix, chacun dans un Etat aux frontières reconnues, il faut d’abord que la communauté internationale envoie des signes forts à Israël, montrant qu’elle prend très au sérieux son soucis sécuritaire pour que l’Etat hébreu sorte de la posture isolationniste dans laquelle il s’est enfermé depuis trop longtemps et qui joue à long terme contre ses intérêts vitaux."
EJP : Vous parlez d'un pays "agité de courants idéologiques et ethniques concurrents qui mettent à mal sa cohésion". N'est-ce pas le propre d'un pays démocratique comme l'est Israël ?
"Tout pays est traversé de clivages plus ou moins importants de diverses natures : ethnique, religieux, culturel, etc. Dans les pays non démocratiques, cette diversité existe tout autant que dans le monde démocratique mais elle n'y a qu’une très faible incidence politique dans la mesure où le pluralisme représentatif n’a pas de réalité politique. Qu’il s'agisse des Kurdes en Syrie, par exemple, ou des chiites sous l'Irak de Saddam Hussein, des populations entières ont été discriminées parce qu'elles n'entrent pas dans les bonnes grâces du pouvoir.
A l’inverse, le pluralisme politique est une force dans un système démocratique parce qu’il permet d’accroître la cohésion sociale par une adhésion à la communauté nationale librement consentie et reconnue. Mais dans le cas d'Israël, la question est un peu différente. Le risque d'éclatement de la cohésion sociale israélienne ne s’explique pas par la nature du régime, mais par des raisons proprement historiques.
L'état de guerre permanent qui règne en Israël depuis sa création n'a pas encore permis de préciser le sens historique et social du projet identitaire israélien. Les acteurs ont toujours tellement été exposés au risque quotidien de disparition qu'ils n'ont pas vraiment le luxe de pouvoir se poser une telle question. Que cela signifie-t-il d'être israélien? Essentiellement, cela veut dire survivre et préparer demain. Mais survivre au quotidien, dans une sorte de présent de l'urgence, ne dégage pas les perspectives nécessaires pour créer une signification identitaire. On pourrait dire que le sens actuel d'Israël, c'est une forme de résilience nationalitaire au sortir de la Shoah. En d'autres termes, cette identité de survie se résume à une fonction libératrice mais qui s'enracine dans le souvenir d'un génocide, et dans la crainte d'en subir un second. Il n'y a donc guère de place pour s'interroger sur le sens historique de son identité dans de telles circonstances.
Si ces clivages ne constituent pas un danger en eux-mêmes, ils hypothèquent l’inscription de cette identité dans le long terme, dans un projet national intrinsèque. La crise de confiance est générale et touche notamment les grandes figures instituantes. L’armée n’échappe pas non plus à cette crise de démotivation générale ".
EJP : Le plus grand danger pour Israël n'est-il pas la bombe iranienne ?
"La bombe iranienne n'est pas en soi la plus grande menace. La qualité du renseignement est telle aujourd'hui qu'Israël saurait à coup sûr quand un tir se préparerait et possède les capacités balistiques suffisantes pour répliquer. De plus, la rhétorique iranienne vise d'abord à positionner le régime comme leader au sein du monde musulman, majoritairement sunnite, pour s’approprier auprès des opinions publiques une influence plus importante que celles de l'Arabie Saoudite ou de l'Egypte, et remplit ainsi une fonction symbolique instituant l’Iran en champion anti-occidental dans le monde musulman. En outre, l'Iran se trouve aujourd'hui entourée par des puissances nucléaires concurrentes : le Pakistan, la Chine, l'Inde, la présence américaine en Irak, en Turquie en Afghanistan ou en Arabie Saoudite, la puissance de feu de la Russie, perceptible jusque dans ses bases au Tadjikistan, ou en Kirghizie.
Il y a donc très peu de chances que l'Iran s'aventure sur cette voie. En revanche, la bombe iranienne représente une menace indirecte pour Israël au moins à trois niveaux : d'une part, elle risque de relancer la course à l'armement nucléaire dans la région, qui avait été abandonnée par les grandes puissances régionales, elle menace directement l'équilibre des grands blocs : OTAN, Russie, pays du Golfe, Israël, Turquie. Mais surtout, et c'est là le risque majeur à notre sens, l'Iran pourrait être tenté de partager ses connaissances technologiques avec certains réseaux clandestins qu'elle soutient, et notamment des factions directement capables de toucher, voire d'infiltrer le territoire israélien.
L’hypothèse d’une confrontation directe entre l’Iran et Israël n’est donc pas la plus probable. La réalité du pouvoir en Iran est détenue par des hommes qui ne sont pas irrationnels et ils connaissent les dangers d’une telle initiative belliqueuse pour l’Iran. Toutefois, la nature théocratique du régime laisse une place à l’imprévisibilité car, au nom d’une lecture martyrologique des événements, certains pourraient ne pas être gênés par les énormes pertes civiles consécutives à une réplique israélienne, ou par les victimes musulmanes tombées sous les bombes iraniennes, soit en Israël, soit dans les territoires palestiniens.
Il suffirait d’une collusion entre des esprits totalement fanatisés ayant de hautes responsabilités pour voir se dessiner le pire des scénarios, avec la bénédiction d’un président tel qu’Ahmadinejad dont les plus réalistes ne parviendraient plus à contenir les ambitions hégémoniques".
Israël, un avenir compromis, par Richard Laub et Olivier Boruchovitch, 248 pages, préfacé par Elie Barnavi et paru chez Berg international éditeurs, Paris.
2 commentaires :
Cela fait 3 000 ans que l'on est voué à la disparition. Alors ne vous inquiétez pas, dans 3 000 ans nous serons encore toujours là.
ces auteurs font une erreur essentielle, celle de la rationalité.
Tout aussi rationnellement, en 135, on pouvait prédire la disparition des juifs.
Rien de l'histoire des juifs n'est rationnelle, pas plus sa capacité de survie et de régénrescence que la haine qu'il suscite parmi les nations.
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