"À propos d'Hitler, rien ne me vient à l'esprit." Voilà la phrase devenue célèbre de l'intellectuel autrichien Karl Kraus - satiriste et "grande conscience" juive de l'époque. C'était en 1934. Hitler était au pouvoir depuis un an.[1]
Bien que la situation actuelle ne puisse pas être comparée à celle des années 1930, la situation des Juifs européens devient de plus en plus inconfortable et il convient de bien l'analyser. Saul Friedländer donne cette explication tragique de cet aveuglement.[2]
"On sait aujourd'hui l'inconscience des Juifs concernant la menace qui se profilait dès les années 1930. On peut alléguer qu'il n'existait aucun moyen de prévoir l'exact déroulement d'un processus aussi unique. Mais un sens de l'imminence du danger, dès la prise du pouvoir par Hitler, eût pu se développer parmi les Juifs. Or la plupart ne surent comprendre que le temps des changements radicaux était arrivé.
Nombre de Juifs allemands, de Juifs européens en général, se refusaient à constater l'échec de l'assimilation-symbiose, la vanité de leurs espoirs et de leurs efforts. Abandonner leurs illusions les aurait réduits à en venir aux conclusions les plus pénibles. Pas seulement sur le plan abstrait, mais concernant la véritable nature de leur judéité et à propos même de l'existence physique des Juifs en Europe. Cela eût impliqué jusqu'à des décisions bouleversant le cours de leur vie quotidienne; des conclusions que beaucoup n'avaient pas le courage de tirer et qui eussent signifié se couper de racines considérées comme puissantes et réelles, s'engager dans une nouvelle voie - déplaisante pour la plupart -, celle de l'expatriation, quelle que fût leur destination géographique.
Qui plus est, les Juifs se voyaient membres à part entière de la société occidentale et adoptaient ses critères de perception et de jugement. Beaucoup de Juifs étaient intimement convaincus, comme bien d'autres Européens, que les nazis - membres de la société occidentale, après - s'"installeraient". Aussi, entre 1933 et 1938, le taux d'émigration de l'Allemagne fut-il relativement faible."
[1] Times Literary Supplement, 02/10/1998, p. 13. Phrase citée par Saul Friedländer dans un article, The path that led into the abyss, sur la biographie de Hitler, 1889-1936, par Ian Kershaw. ("About Hitler, nothing comes to my mind"")
[2] Le nazisme en questions, 1933-1939, Pluriel. Ouvrage collectif. Saul Friedländer, Tout était-il déjà écrit dans Mein Kampf?, pp. 116-117.
Ce site est dédié aux millions d'Européens qui, malgré d'incessantes campagnes de désinformation, ne croient pas que les Juifs ne sont capables que du pire; ne dissimulent pas leur antisémitisme dans le langage de l'antisionisme; et savent qu'Israël représente ce qu'il y a de meilleur dans une démocratie.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire