mercredi 2 mars 2011

Boualem Sansal: l'islamisme est une malédiction et la démocratie le meilleur dissolvant

"Quand j'ai entendu le discours du Caire d'Obama en 2009, j'ai été franchement déçu, même en colère. J'ai été dégoûté de le voir tendre la main d’une manière si obséquieuse précisément à ceux des musulmans qui font de leur religion une identité, une cause, une idéologie. Mais Obama a évolué. Il n'est pas coincé dans la même vision romancée qu’avant. S’il minimise la menace islamiste, c'est sans doute pour des raisons tactiques. Il ne faut pas pousser tous les différents types de folies qui sont monnaies courantes dans le monde arabe et musulman à se rassembler dans un front uni islamiste. Mais on doit aussi considérer l'incohérence de la société occidentale en général sur ces questions. Où se trouvent tous les islamistes les plus importants? A Londres, New York, Paris. Tariq Ramadan s’agite en permanence entre Londres, Genève et Paris. Il est invité sur tous les talk-shows, et il obtient les éloges - et non seulement de la communauté musulmane des banlieues difficiles françaises, dont il est une sorte de héros légendaire."

"Le deuxième niveau concerne la bataille que l'Occident doit se mener contre l'islamisme. Il faut mettre fin aux concessions, au double langage, et à la realpolitik. Les gouvernements occidentaux doivent cesser de flatter les islamistes (en Arabie saoudite ou l'Iran, par exemple) et doivent défendre leurs propres valeurs, qui sont les valeurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Un exemple: quand Mahmoud Abbas a annoncé que dès que la Palestine est indépendante, il n'acceptera pas qu’il y ait un seul Israélien sur son territoire, il faut prendre note d’un tel programme et cesser de traiter avec lui. On ne pouvait en effet, guère trouver une plus grande expression de haine."

Source: Autour de la liberté, le blog de Pierre Raiman

Boulaem Sansal le grand écrivain Algérien auteur du "Village de l'Allemand" a donné une interview à John Rosenthal pour le Weekly Standard sur les révolutions en cours dans le Monde Arabe.

Dans ce grand roman livre unique dans la littérature du monde arabe. il raconte au travers de l'histoire de deux jeunes frères dans une banlieue parisienne, celle de leur père, Hans Schiller, un officier allemand SS qui immigre en Algérie, se convertit à l'islam, et devient un héros de la guerre d'indépendance algérienne.

Entre craintes et espoir, voici l'analyse sans concessions d'un esprit remarquable qui a toujours pensé et écrit que seul un mince espace, sépare l'islamisme et le nazisme, mais qui espère "qu'un jour ensoleillé, l'Algérie va retrouver son chemin et sa terre reverdir". Et il ajoute "Je voudrais être là pour voir cela se produire".

(Interview réalisée à la veille des manifestations du samedi 19 février en Algérie et "retraduite" depuis l'anglais, n'ayant pu trouver la version "originale")

John Rosenthal: Vous avez été un critique virulent de l'absence de démocratie dans votre propre pays, ainsi que dans le monde arabe plus généralement. Vous avez également mis en garde contre la menace d'un islamisme triomphant, que vous comparez au nazisme. Le mouvement de protestation qui a provoqué la chute d’Hosni Moubarak en Egypte a été largement célébré comme un mouvement démocratique. Mais il y avait une présence évidente des Frères musulmans parmi les manifestants, et il y avait aussi des signes d'hostilité extrême envers Israël et même sans aucun doute des signes d’anti-sémitisme. Quelle est votre réaction aux événements en Egypte? L’espoir? La peur?

Boualem Sansal: Je suis très heureux de voir les peuples arabes se révolter enfin contre les dictatures qui les ont opprimé depuis si longtemps. Mon espoir, mon rêve, c'est que des démocraties - même des démocraties imparfaites - sortiront de ces révoltes et qu'elles permettront aux pays arabes de prospérer, économiquement et culturellement, et de s'ouvrir au monde et vivre en paix avec leurs voisins.

Mais ce n'est pas seulement une question d'espérance. Il faut se mobiliser pour y arriver, il faut agir, il faut demander de l'aide internationale, il faut construire des ponts. Car, à mon avis, la chose la plus importante dans la phase actuelle est de ne pas laisser les Arabes seuls avec eux-mêmes. Les forces et les idées mêmes qui les ont mis dans leur situation actuelle - le tribalisme, le népotisme, l'islamisme, les attitudes claniques - vont combler le vide laissé par les dictatures. En outre, la naissance de la démocratie est difficile. À court terme, elle ne sera pas en mesure de répondre aux attentes immédiats de la population pour un travail, un système judiciaire efficace, une administration impartiale et équitable des élections. En conséquence, les gens vont se tourner vers les forces sombres, dont les principales et les mieux organisées sont les islamistes. Ils ont attendu ce moment depuis longtemps, et ils sont impatients de prendre leur revanche. Et évidemment, ils vont jouer sur les mêmes registres émotifs qui ont été si souvent exploités par tous les régimes arabes et musulmans: l'antisémitisme, Israël, le "complot sioniste", mais aussi "l'exploitation par l’Occident", et ainsi de suite. [...] 

Européens et Américains doivent porter une attention particulière et soutenue à ce processus. Elle peut facilement s'égarer et conduire au pire résultat possible. Mais elle pourrait aussi conduire au meilleur. Pour se faire, il faut déjouer les plans des groupes islamistes (Hamas, Hezbollah, les Frères musulmans) et, en premier lieu, ceux de l'Iran. Barack Obama l'a compris et suit ces développements de près.


Rosenthal: L'histoire de l'Algérie montre que le processus démocratique peut très bien conduire à la victoire des islamistes, à savoir par voie de la victoire électorale comme en 1991 avec le Front islamique du salut (FIS). Cette victoire a été suivie par l'annulation des résultats des élections et une guerre civile longue et sanglante. Ali Bel Hadj, l'un des anciens dirigeants du FIS, ont participé à la manifestation du 12 février à Alger. Quel est le risque que l'histoire se répète?

Sansal: Si une vraie démocratie est établie dans les pays arabes, il est tout à fait possible que les islamistes prennent le pouvoir. Dans tous les pays arabes, dans tous les pays musulmans, même en Europe, les islamistes cherchent à conquérir le pouvoir.

Mais je pense que l'islamisme lui-même a changé. De nombreux islamistes ont abandonné l'espoir de s'emparer du pouvoir par la force. (En fait, pour les islamistes c'est la seule façon de vraiment noble de prendre le pouvoir:. On doit arracher le pouvoir de l’étreinte des mécréants et des agents de l'Occident.) Ils ont vu, en outre, qu'ils peuvent devenir eux-mêmes la cible de la colère populaire: par exemple, en Iran.
En Algérie, Bel Hadj a maintes fois été jeté hors de manifestations. Il y a une lutte en cours dans les différents mouvements islamistes, et il semble que les modérés du monde entier ont la haute main. Par "modérés", je veux dire ceux qui pensent qu'ils peuvent obtenir le pouvoir par la ruse en exploitant les institutions démocratiques qui sont tant chéries par les mécréants. Le modèle turc [à savoir celui des «modérés» islamistes du Premier ministre Recep Erdogan et son AKP] se répand.

Mais la possibilité qui m'inquiète le plus, c'est ce que j'appelle le modèle "soudanais": à savoir, la possibilité que les autorités former une alliance avec les islamistes dans le but d'écraser définitivement le mouvement de protestation démocratique. C'est ce que le régime algérien a fait si bien par le passé. Il a utilisé les islamistes dans les institutions étatiques comme des acteurs subalternes. Ce n'est pas la démocratie qui a permis aux islamistes de devenir la deuxième force politique la plus puissante dans le pays. Cela s'est fait à la suite d'un accord politique minable. La même chose pourrait se produire en Egypte, où l'armée risque de faire face à une sérieuse opposition. Elle pourrait favoriser les islamistes afin de bloquer les aspirations du peuple.

Dans tous les cas, l'islamisme est une malédiction. Il faut le voir comme tel et travailler à sa désintégration progressive et à sa marginalisation. La démocratie est le meilleur solvant à cet égard.

Rosenthal: Vous avez fait l'éloge de l'attitude du président Obama. Mais la politique de l’administration américaine ne risque-t-elle pas d’encourager précisément ce que vous avez appelé le modèle "soudanais"? L'administration a minimisé la menace posée par les Frères musulmans, et un porte-parole de l'administration a expressément appelé à l'inclusion des acteurs "non-laïques" dans le nouveau gouvernement. Dans les circonstances actuelles, quelle attitude pensez-vous que les forces démocratiques devraient prendre envers les islamistes? Devraient-ils être ouverts à travailler avec eux ou doivent-ils chercher à les isoler?

Sansal: Quand j'ai entendu le discours du Caire d'Obama en 2009, j'ai été franchement déçu, même en colère. J'ai été dégoûté de le voir tendre la main d’une manière si obséquieuse précisément à ceux des musulmans qui font de leur religion une identité, une cause, une idéologie. Mais Obama a évolué. Il n'est pas coincé dans la même vision romancée qu’avant. S’il minimise la menace islamiste, c'est sans doute pour des raisons tactiques. Il ne faut pas pousser tous les différents types de folies qui sont monnaies courantes dans le monde arabe et musulman à se rassembler dans un front uni islamiste. Mais on doit aussi considérer l'incohérence de la société occidentale en général sur ces questions. Où se trouvent tous les islamistes les plus importants? A Londres, New York, Paris. Tariq Ramadan s’agite en permanence entre Londres, Genève et Paris. Il est invité sur tous les talk-shows, et il obtient les éloges - et non seulement de la communauté musulmane des banlieues difficiles françaises, dont il est une sorte de héros légendaire.

À mon avis, des mesures doivent être prises à deux niveaux différents. Les forces démocratiques dans les pays arabes doivent se mobiliser contre les islamistes, les dénoncer et exposer leur tentative de co-opter un mouvement populaire révolutionnaire. Surtout, les forces démocratiques doivent être claires sur leur propre discours. Nos démocrates - certains d'entre eux, démocrates de complaisance – doivent cesser de chercher à parvenir à la démocratie, la liberté et le progrès en jouant la carte de l’islam comme les islamistes de la partie rugueuse de la ville. Ils doivent cesser de clamer que l'islam est une religion de paix, de tolérance et la liberté qui émancipe les femmes et a sauvé les anges de leur chute.

Ils doivent prendre leurs distances, d'affirmer leur différence par rapport aux islamistes, afin d'offrir aux jeunes un choix qui est clair comme celui que les islamistes offre à leurs partisans. Surtout, ils doivent arrêter de débattre avec les islamistes en termes religieux. Ils doivent dénoncer le programme politique des islamistes en faisant appel à la raison et la responsabilité, et non pas en citant des versets du Coran dans la tradition islamique, comme tant d'autres. Lorsque M. El Baradei est arrivé au Caire, il est aller prier dans au premier avec les islamistes. Voilà comment il a exprimé son désir de liberté et la démocratie en Egypte. C’est comique, absurde et incroyablement lâche. Il n'a aucune crédibilité désormais et les vrais démocrates doivent le rejeter.

Le deuxième niveau concerne la bataille que l'Occident doit se mener contre l'islamisme. Il faut mettre fin aux concessions, au double langage, et à la realpolitik. Les gouvernements occidentaux doivent cesser de flatter les islamistes (en Arabie saoudite ou l'Iran, par exemple) et doivent défendre leurs propres valeurs, qui sont les valeurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Un exemple: quand Mahmoud Abbas a annoncé que dès que la Palestine est indépendante, il n'acceptera pas qu’il y ait un seul Israélien sur son territoire, il faut prendre note d’un tel programme et cesser de traiter avec lui. On ne pouvait en effet, guère trouver une plus grande expression de haine.

Le monde a besoin de clarté et elle a besoin de gens qui ont le courage de leurs convictions. Les choix tactiques ne devraient jamais être autorisés à diminuer la clarté des idées de fond.

2 commentaires :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

La menace iranienne, hier si présente, précise et proche, semble s’éloigner ou du moins perdre de son importance face aux coups de tonnerre révolutionnaire. Mais cela n’est qu’un leurre. C’est justement le moment propice pour Ahmadinejad de frapper au moment où le mur de paix glacée construit autour de l’Etat hébreu commence à se dégeler de toutes parts.


Ce rêve d’unité nassérien a fait long feu après la guerre de 1967. L’Etat d’Israël est, chacun le désire, le pense et le sait, le trublion de ce grand rêve. Car on a beau jeu de comparer les chutes successives des régimes arabes au mur de Berlin. La quasi-totalité des pays de l’ex-bloc de l’Union soviétique est désormais partenaire de l’Union Européenne.


Ce rêve d’unité, l’Europe elle, l’a accompli en diabolisant le nazisme et les spectres de la deuxième guerre mondiale, en réunifiant l’Allemagne de l’Est à celle de l’Ouest et en laissant la nouvelle Russie exsangue de ses satellites qui ne lui reviendront plus.


Quel rapport avec le monde arabe, sinon ses liens avec l’Occident via ce que l’on nomme aujourd’hui dictateurs et hier alliés ?


Car la grande rupture, si l’on suit ce schéma ce serait la volonté arabe d’abandonner l’Occident au plus tôt, c'est-à-dire le bloc Etats-Unis/Europe et donc Israël, le fameux « cheval de Troie » de l’Occident.

La situation est très délicate pour l’Etat hébreu mais en a-t-il été un jour autrement ? Il est hors de question d’imaginer un monde arabe sans l’Islam qui lui est consubstantiel et forme justement son identité comme l’Europe la chrétienté. Les divisions sunnite/chiite, comme hier les guerres de religion opposant catholiques et protestants en Europe, sont bien sûr l’écueil du grand rassemblement tant rêvé des frères arabes.


Mais nous devons remarquer que les sunnites luttent contre les chiites non à cause d’un désaccord à propos de l’Occident ou d’Israël mais pour un leadership global; donc pour une question encore une fois de religion et partant d’efficacité en terme de grandeur et de puissance. Ces révolutions qui visent la « démocratie » ne visent-elles pas tout simplement une paix religieuse à l’intérieur de l’Islam pour mieux se renforcer et s’unir, mais dans quel but ?


L’Union européenne s’est construite autour d’un vœu pieux : lutter contre ses vieux démons à l’œuvre durant tout le 20ieme siècle. Il s’agit de savoir aujourd’hui quel est le vieux démon du monde arabe ?


Le modèle turc !!!

http://therese-zrihen-dvir.over-blog.com/article-erdo-an-accepte-le-prix-international-al-kadhafi-pour-les-droits-de-l-homme-68408664.html

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Depuis la période kémaliste, la Turquie apparaissait comme un pays particulier au sein du monde musulman en raison de sa laïcité. C’est désormais paradoxalement son islamisme ou plutôt ses islamistes qui polarisent toutes les attentions. Ce phénomène est récent. Certes l’épopée du Refah depuis la fin des années 80, l’influence de ce parti islamiste sur les mutations de la société civile, ses résultats électoraux nationaux et locaux, son arrivée au pouvoir dans les grandes villes et surtout l’accession de son leader, Necmettin Erbakan aux fonctions de premier ministre en 1996, avaient déjà été des événements largement commentés. Mais il faut bien voir que, depuis trois ans, le développement de l’islamisme turc a pris un tour nouveau. En effet, la dissolution du Parti de la Prospérité ( RP, Refah Partisi) par la Cour Constitutionnelle en 1998 et l’éphémère expérience du Parti de la Vertu ( FP, Fazilet Partisi) ont débouché sur l’émergence d’une formation politique d’un genre nouveau, le Parti de la Justice et du développement ( AKP ou AK Parti, Adalet ve Kalkinma Partisi), qui a largement remporté les dernières élections législatives en novembre 2002.

Loin de n’être qu’une péripétie partisane et électorale, l’arrivée au pouvoir de ce parti et de son leader Recep Tayyip Erdogan peut être considérée comme un événement qui dépasse largement la seule vie politique turque. En effet, ce mouvement, sans renier ses origines et son identité religieuse, s’est fortement démarqué des pratiques internes et des stratégies des formations qui l’ont précédé. Rompant avec le radicalisme du Refah, il privilégie, en effet, le dialogue sur les grands sujets qui agitent la société turque et déclare accepter les règles de la démocratie parlementaire et la structure laïque de l’État allant même jusqu’à se faire le héros d’une lutte pour l’avènement d’une démocratie plus accomplie, d’un État de droit véritable et d’une "vraie laïcité". Dans le sillage de ce discours surprenant, l’AKP affiche désormais résolument et ostensiblement son désir de voir la Turquie entrer dans l’Europe et cet objectif est devenu l’une des priorités du programme qui est actuellement celui du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan