lundi 17 novembre 2008

Guillaume Ribot, les yeux sur la Shoah

"Je sais, depuis, que les morts dépendent entièrement de notre fidélité."

Extraits d'un article de Alexandra Laignel-Lavastine paru dans Le Monde

"Une histoire qui, décidément, le hante. Après un livre sur Auschwitz, le voilà qui publie Camps en France : histoire d'une déportation (Fondation pour la mémoire de la déportation, 30 euros). De Gurs à Drancy, en passant par Fort-Barraux, ce magistral ouvrage d'enquête et de photos relate plusieurs mois de pérégrinations à travers les camps d'internement de Vichy. L'auteur s'est transporté avec son appareil sur les pas de Gerhard Kuhn, un juif allemand dont il a retrouvé le dossier aux archives. Parce qu'il importe selon lui de "réinscrire la mémoire des camps dans l'histoire des hommes". (...)

Mais qu'est-ce qui pousse donc un jeune photographe grenoblois ayant débuté dans le photojournalisme, issu d'une famille mi-protestante mi-catholique, à consacrer depuis une décennie l'essentiel de son oeuvre à la Shoah ? Le processus s'est enclenché quand Le Dauphiné libéré l'a envoyé couvrir une visite de lycéens en Pologne. "Comment se contenter simplement d'aller voir ? Et que répondre à ceux qui vous demandent : "Alors, Auschwitz, c'était bien ?" Un vrai trouble s'est installé en moi."

En rentrant, il lit beaucoup, notamment L'Imprescriptible, de Vladimir Jankélévitch (Seuil, 1996). "Ce livre a orienté ma carrière de photographe et ma vie d'homme. Je sais, depuis, que les morts dépendent entièrement de notre fidélité." Son ouvrage, paru en 2005, s'intitule Chaque printemps les arbres fleurissent à Auschwitz (Ville de Grenoble éd.), une citation empruntée au philosophe, qui se demandait par quelle aberration l'herbe pouvait bien repousser dans ces campagnes maudites.

Exaspéré par ses contemporains, qui estiment que l'on parle trop de la Shoah, Ribot, lui, considère que l'on n'en parle jamais assez. Parce que "si nous cessions d'y penser - c'est le titre de son exposition de 2003 au Musée de la Résistance et de la déportation de l'Isère - nous achèverions de les exterminer", observe-t-il, en faisant sienne une autre formule de Jankélévitch.

L'un des aspects les plus étonnants de ce parcours tient à la découverte "après coup" de la déportation de deux membres de sa famille. Il avait certes le souvenir lointain d'une soirée où les adultes s'étaient mis à parler de René et Raymond, obligés d'arracher des dents en or sur des cadavres. Savait-il sans savoir ? Toujours est-il qu'il n'en fut plus jamais question. Jusqu'à ce mois de mai 2007 où sa grand-mère - qui avait elle-même caché des enfants juifs près de Bordeaux - se mit à parler. Le photographe apprend alors qu'un grand-oncle et son fils en sont eux-mêmes revenus. Ils soutenaient les maquis, avaient été dénoncés par des gens du village, puis déportés à Auschwitz avec le poète Robert Desnos, avant d'être expédiés à Buchenwald et affectés aux crématoires.

Guillaume Ribot était alors déjà devenu un pilier du programme de recherche sur la Shoah par balles en Ukraine. Patrick Desbois évoque l'une de leurs premières rencontres. C'était à Borové, près de Lvov.

Au milieu d'une forêt, des villageois, qui avaient assisté au massacre d'un bout à l'autre, venaient de leur raconter comment 1 500 juifs avaient été fusillés à cet endroit. "Guillaume était assis seul à l'écart, et il m'a dit : "Pour moi, tout a changé. Je ne pensais pas rencontrer des témoins oculaires." Il s'est tenu silencieux sur ce banc, très longtemps, avant d'accepter de devenir le photographe de nos expéditions."

Celui-ci admet que travailler dans le présent d'une histoire passée est périlleux. Mais il assume pleinement cette façon de se tenir au plus risqué, presque "à la limite" de la pratique photographique. "C'est là que j'aime chercher", dit-il. Sur le terrain, son rôle consiste à montrer ceux qui ont vu. Alors, il photographie leurs yeux - "Plus les voyages avancent, plus je serre mon cadrage". Avec une difficulté : parvenir à faire comprendre que sous un banal potager gisent les corps d'enfants juifs assassinés, comme l'atroce découverte vient d'en être faite à Sataniv. L'importance accordée aux légendes, la sobriété de la composition et, souvent, la rigueur du protocole - point de vue frontal, cadrage au pied, profondeur de champ maximale - lui permettent d'éviter à peu près tous les stéréotypes. Un tour de force."

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