Source: article de Nicolas Weill dans Le Monde
"Yosef Yerushalmi a consacré le gros de son travail à l'étude du judaïsme séfarade et des marranes, ces juifs convertis au catholicisme mais qui continuaient à pratiquer secrètement leur ancienne religion."
L'historien Yosef Hayim Yerushalmi est mort mardi 8 décembre dans sa ville natale de New York. Il y enseignait à l'université Columbia, où il occupait la chaire qui portait le nom de son directeur de thèse, le professeur Salo Wittmayer Baron (1895-1989). Yosef Yerushalmi aimait à souligner que Baron avait été le premier à enseigner cette discipline académique récente, l'histoire juive, dans une université occidentale en 1930.
Originaire de Goloskov (Ukraine), le père de Yerushalmi (en hébreu "de Jérusalem") avait résidé dans la Palestine mandataire avant de gagner New York, où il rencontra sa femme. Dans sa jeunesse, le futur historien fréquente des mouvements halouzik (sionistes). Tout en considérant que l'histoire juive concerne tout lieu et tout temps, où l'on peut trouver des juifs, il estimera qu'Israël occupe une place centrale dans le monde juif d'aujourd'hui.
Baignant dans un milieu polyglotte (il apprend l'hébreu avant l'anglais, et parle yiddish avec sa mère), et attaché au judaïsme sans être orthodoxe, le jeune Yerushalmi reçoit une éducation juive approfondie dans des yeshivot (écoles religieuses juives) new-yorkaises. Il est tenté par des études de droit, mais sa vocation d'"historien juif" le rattrape dans ses premières années d'études. Après avoir été assistant-professeur à Harvard, où il préside le département des langues et des civilisations du Proche-Orient, il retourne, en 1980, à Columbia, où se déroulera sa carrière.
Yosef Yerushalmi a consacré le gros de son travail à l'étude du judaïsme séfarade et des marranes, ces juifs convertis au catholicisme mais qui continuaient à pratiquer secrètement leur ancienne religion. Son travail de doctorat, publié pour la première fois en 1971, eut ainsi pour thème la vie d'un de ces personnages du XVIIe siècle espagnol, Isaac Cardoso (traduit en français sous le titre De la cour d'Espagne au ghetto italien, Fayard, 1987). Dans une reconstitution tenant à la fois de l'érudition et du roman policier, il s'était attaché à retracer le destin de ce philosophe et médecin, coqueluche des Grands d'Espagne, que le spectacle des autodafés et la pression de l'Inquisition poussèrent à l'exil, en 1648.
Si Yerushalmi faisait des marranes sa spécialité, il se voulait pourtant "historien des juifs" à part entière. De fait, la dualité dans laquelle les conversos étaient contraints de vivre leur foi dans la péninsule Ibérique n'était pas, à le lire, sans rapport ni continuité avec la condition juive moderne, qu'elle pouvait éclairer.
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1 commentaire :
* lé ha zikarone chèl Yosef Hayim Yerushalmi
" Quand nous avons affaire au passé, que nous nous occupons d’un monde lointain, l’esprit obtient en récompense de sa peine, une ouverture sur sa réalité actuelle. Les évènements sont divers mais leur connexion, l’universel, leur fond interne, est un et le même. " ( Hegel - Introduction à la philosophie de l’histoire.)
Il en va de la culture juive comme de la pensée : elle n’est pas la même en tous lieux et à toutes les époques, sinon qu’un certain nombre d’événements, au sens fort et connu de tous, ont laissé des traces telles que l’intelligence de l’histoire ne peut en faire l’économie. Une identité pérenne et durable, malgré les vicissitudes de l’histoire est en soi un mystère ; que les ingrédients de cette identité soient demeurés largement les mêmes, y compris après la seconde guerre mondiale, l’est davantage encore.
" L’allégeance personnelle au gouvernement le cédait au patriotisme " écrit Yosef H. Yerushalmi dans un texte dont le titre est dû à Isaac Arama, vénitien du 16e siècle : il est dans les plans de la Divine Providence que les Juifs dans leur dispersion ne soient pas comme des esclaves entre les mains de maîtres ordinaires, mais " qu’ils demeurent entre les mains des rois de la terre et qu’ils soient des serviteurs des rois et non des serviteurs des serviteurs ".
Contre Arendt qui affirme que, en l’absence de direction organisée, le nombre de victimes aurait pu être moindre, Yerushalmi montre que la tradition de la représentation et de l’intercession auprès des autorités se faisait avant tout dans l’intérêt des coreligionnaires, à la manière d’un Philon qui allait négocier auprès de Caligula : " [Les Juifs] ne faisaient que suivre l’archétype millénaire de la direction juive dans ses rapports avec le pouvoir ".
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