"(...) des milliers d’enfants vont à l’école avec leurs cartables sur le dos pour se rencontrer à nouveau comme bourreaux et victimes dans les antichambres des fours crématoires, devant les fosses communes …"
"Apparemment, dès qu’on parle de la culture et des valeurs européennes, on aboutit à la question du meurtre."
Auschwitz et la croix, dans une même phrase.
Femmes et enfants juifs hongrois arrivent au camp d'extermination
d'Auschwitz-Birkenau le 26 mai 1944 pour y être gazés
.
"Mentionnerais-tu encore dans une même phrase Auschwitz et la croix?
Plus que jamais. Puisque c’est justement dans ce contexte qu’est apparue l’importance fatale d’Auschwitz pour l’homme éduqué dans la culture éthique de l’Europe. Les lois de cette culture sont résumées dans les dix commandements, dont l’un dit: Tu ne tueras point. Mais si les massacres peuvent devenir des activités ordinaires, voire un travail quotidien, il faut se poser des questions sur la validité de la culture dont les valeurs illusoires étaient, ici, en Europe, enseignées à tous depuis la petite école, aussi bien aux tueurs qu’aux victimes. Tu esquisses une vision terrifiante : des milliers d’enfants vont à l’école avec leurs cartables sur le dos pour se rencontrer à nouveau comme bourreaux et victimes dans les antichambres des fours crématoires, devant les fosses communes … Nous en sommes arrivés là, c’est donc cela, le sujet de notre conversation?
Apparemment, dès qu’on parle de la culture et des valeurs européennes, on aboutit à la question du meurtre."
Imre Kertész, Dossier K., Actes Sud, 2008, (p. 178). Imre Kertész a reçu le Prix Nobel de littérature en 2002.
Femmes et enfants juifs hongrois arrivent au camp d'extermination
d'Auschwitz-Birkenau le 26 mai 1944 pour y être gazés
d'Auschwitz-Birkenau le 26 mai 1944 pour y être gazés
1 commentaire :
Auschwitz : l'échec absolu
Victor Malka, interrogeant André Neher, lui demande si Auschwitz entre, selon lui, dans la catégorie de certains drames quotidiens qui semblent injustes et susceptibles d'ébranler la foi du croyant.
[Je refuse de dire que, pour l'homme de foi, le phénomène d'Auschwitz soit simplement, à la puissance X, une donnée devant laquelle nous sommes placés tous les jours. Auschwitz est d'un autre ordre.
Auschwitz est, certes, un échec de D-. mais c'est aussi l'échec de toute la civilisation humaine. L'échec intégral, absolu. Un accident peut être, à la limite, évité. Mon camarade, tué sur sa motocyclette, aurait pu être sauvé s'il avait roulé moins vite.
J'ai perdu, en 1930, un cousin, enlevé par une méningite galopante en deux mois. Aujourd'hui, la pénicilline le sauverait en quelques jours. Sauver, sauver...Voyez-vous, c'est le salut dont les issues ont été bloquées dans le phénomène d'Auschwitz. Consciemment, délibérément, par le calcul d'une civilisation raffinée qui s'est en quelque sorte retournée contre elle-même. Imaginez une grève générale de tous les médecins, de toutes les infirmières, de tous les techniciens des appareils thérapeutiques : ce serait la mort instantanée de millions de malades. C'est ce qui est arrivé à Auschwitz. Une grève générale de tout ce que la civilisation et la technique les plus modernes et les plus élevées auraient pu mettre au service du Bien et qu'elles ont voué à la damnation du Mal.
Notre modernité, c'est tout l'investissement que nous avons placé dans ce 20ème siècle qui paraissait être une suite logique du 19ème siècle, suite logique du 18ème siècle, des Lumières, de la Raison triomphante, etc... C'est le schéma bien connu de la croyance au progrés. Technique, progrès, développement de la science, tout cela devait logiquement aboutir à rendre plus morale l'humanité du 20ème siècle.
Or c'est le contraire qui s'est produit. Cette science a été prise par les Allemands, a été appliquée dans tous ses perfectionnements mais à l'envers. Elle a donné Auschwitz et ses chambres à gaz, le Struthof avec ses expériences médicales raffinées sur des êtres vivants et toute cette organisation impeccable, du point de vue technique et scientifique, d'un génocide, d'un massacre froidement consommé de millions d'hommes, pour lesquels les criminels qui l'ont accompli n'ont pas eu de remords.
Le "Professor" Hirth du Struthof et tant d'autres étaient persuadés que c'était la maniére la plus moderne de mettre en pratique le progrés de la science. "L'avenir de la science" a abouti à la régression la plus grande de l'humanité et l'a fait revenir à l'état le plus primitif. Le sommet de la science s'est avéré être l’abîme de la barbarie.]
Extrait de : Le dur bonheur d'être juif , pp. 45-46, Ed. Le Centurion 1978
Enregistrer un commentaire