La récente élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio (le Pape François) à la fonction pontificale a créé la surprise chez les experts chevronnés du Vatican. Or il y a un précédent. En 1978, le cardinal Sergio Pignedoli [photo] était le favori des médias et des experts pour succéder à Paul VI, mais les cardinaux lui préférèrent Jean-Paul 1er. Les raisons de son échec se trouvent vraisemblablement dans le fiasco de ses tentatives pour instaurer un dialogue avec l'islam. Son cas, peu connu, est intéressant et est décrit par l'intellectuel américain Martin Kramer (If not for Qadhafi, he might have been pope) - il nous démontre que les mentalités du côté arabe ont peu évolué en tout cas en ce qui concerne Israël et les Juifs et même leur hostilité envers les chrétiens (un autre exemple ICI).
Dès qu'il est nommé cardinal en 1973, le Pape Paul VI lui confie le Secrétariat pour les relations avec les non-chrétiens - qui n'incluait pas les Juifs, car une question aussi sensible était traitée par une commission distincte. En raison de ses nombreux voyages et contacts, on avait surnommé le cardinal le "Kissinger du pape" et son choix semblait parfait.
Rapidement, l'énergique cardinal Pignedoli prit l'initiative d'améliorer les relations entre le Vatican et le monde de l'islam. L'Eglise catholique était consciente de la résurgence islamique et Pignedoli était convaincu que le Vatican pouvait faire baisser les tensions entre musulmans et chrétiens (et protéger ses intérêts propres en terre d'islam) grâce à un dialogue conciliatoire avec un partenaire musulman réputé.
Mais comment choisir ce partenaire? Qui était le pape musulman? L'impossibilité de répondre à ces questions fit apparaître l'une des distinctions fondamentales entre le christianisme et l'islam. Bernard Lewis l'explique clairement et brièvement: Il n'y a pas d'église dans l'islam. Il n'y a pas de clergé dans le sens d'une ordination et d'une fonction sacrée. Il n'y a pas de Vatican, pas de pape, pas de cardinaux, pas d'évêques, pas de conciles; il n'y a pas de hiérarchie comme celle qui existe dans la chrétienté.
Pour les non-musulmans, il est souvent tentant de considérer l'Arabie Saoudite, qui abrite des lieux les plus saints de l'islam, comme une sorte de "centre" de la foi islamique. Ce raisonnement amena le cardinal Pignedoli, muni d'une lettre du Saint Père, à s'y rendre en avril 1974 . Le roi Faiçal lui accorda une audience et l'écouta attentivement. Mais, surprise, le roi Faiçal n'avait qu'une idée en tête: les Juifs. Les Juifs n'avaient pas de lieux saints à Jérusalem, insista-t-il. Seuls les musulmans et les chrétiens avaient des droits incontestables sur les lieux saints de la ville. Fayçal éleva la voix pour déclarer (à tort) que, sous l'islam "les Juifs n'avaient jamais été autorisés à vivre en Palestine et en particulier à Jérusalem". Le dessein du roi était clair: il voulait que l'Eglise catholique soutienne sa demande de souveraineté musulmane sur la ville sainte. Pignedoli ne s'attendait pas à ce genre de proposition.
Il se tourna vers un autre interlocuteur. Il se rendit donc en Egypte en septembre 1974 dans l'espoir d'établir des contacts à Al-Azhar, la célèbre université et un autre "centre" de l'islam. Mais le cheikh d'al-Azhar ne se montra pas intéressé par un dialogue interreligieux. Au lieu de cela, il offrit à son visiteur des ouvrages sur la Palestine et sur le rôle historique d'Al-Azhar dans la résistance contre l'agression étrangère.
Pignedoli finit par comprendre. Les musulmans ne font pas de distinction entre le spirituel et le temporel et entre le politique et le religieux. Il reconnut plus tard que "l'un des plus grands obstacles au dialogue est l'intrusion du politique dans la religion. Certaines personnes ne font pas de distinction comme dans les Évangiles entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu, et ils sont, de surcroît, préoccupés par les tensions locales ou ont peur de perdre leur liberté".
Alors que l'impasse était totale, une opportunité inespérée se présenta. En mai 1975, un confident du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi arriva à Rome porteur d'un message. La Libye était désireuse d'accueillir une réunion officielle avec le Vatican pour promouvoir le dialogue interreligieux et s'engageait à inviter une délégation de musulmans influents du monde entier. Le dialogue, promit le Libyen, serait limité à la théologie et la religion. Quelle percée! Les négociations débutèrent et la date fut fixée à février 1976. Les Libyens acceptèrent toutes les demandes du Vatican.
Qu'y avait-il derrière l'initiative libyenne? La Libye n'est pas un "centre" de l'islam comme l'Arabie saoudite ou l'Egypte, loin de là. Malgré son importance sur le marché mondial du pétrole, la Libye était marginale en matière religieuse. Pourtant, Kadhafi était convaincu du contraire, peut-être pas en ce qui concernait la Libye, mais certainement en ce qui concernait sa personne. Au début de son règne (il prit le pouvoir en 1969), Kadhafi s'auto-proclama autorité incontestable de l'islam, qu'il décrivait comme l'incarnation du vrai socialisme. Certes, peu de musulmans en dehors de quelques Libyens le prenaient au sérieux. Mais quoi de mieux pour faire avancer sa cause que de montrer que les chrétiens le prenaient au sérieux, et pas n'importe quels chrétiens - l'Église catholique elle-même?
Le jour fixé arriva enfin. Pignedoli, à la tête d'une délégation de quatorze membres, atterrit à Tripoli. Il s'attendait à rencontrer un nombre égal de délégués musulmans et environ une vingtaine d'experts et de journalistes. Mais le plan des organisateurs libyens était totalement différent. Ils avaient invité plus de cinq cents militants, des journalistes et des gens qui n'avaient rien à y faire (comme l'ancien Panthère Noire américain, Kwame Ture, alias Stokely Carmichael). "Chaque mouvement révolutionnaire et conspirateur concevable envoya des représentants à Tripoli", écrivit le journaliste Peter Scholl-Latour (qui a consacré un chapitre à cet épisode brûlant dans son ouvrage Adventures in the East).
La foule remplissait le palais des congrès où se tenait le colloque et une atmosphère de cirque s'installa rapidement. Les Libyens n'avaient pas tenu leur promesse de nommer leurs délégués et de fournir les textes de leurs interventions à l'avance. La raison est vite devenue évidente: les délégués musulmans étaient des agents politiques, et non des hommes de religion. Leurs discours, on l'apprendra plus tard (par le secrétaire de la délégation du Vatican), étaient "agressifs et récriminatoires". Ils accusèrent l'Eglise d'avoir falsifié les Écritures, d'avoir mené les Croisades, et de faire du prosélytisme auprès des musulmans. Le tout était ponctué par des attaques répétées et véhémentes contre Israël, le sionisme et les Juifs. Face à ces attaques, "les délégués du Vatican firent piètre figure", selon Scholl-Latour. "Le Cardinal Pignedoli, de petite taille, semblait se rétrécir encore plus et adoptait une stratégie d'excuse permanente".
Le point culminant fut atteint avec l'arrivée de Kadhafi lui-même. Khadafi joua le modeste en s'asseyant au milieu du public au lieu de rejoindre le podium. Le cardinal, obséquieux, alla le chercher et lui baisa presque la main. Kadhafi se laissa conduire par le cardinal et le public musulman l'applaudit à tout rompre. En fait Kadhafi avait l'air une star de cinéma. Jeune, vêtu d'un pantalon et d'un pull à col roulé noirs, marchant avec élégance. A côté de ce guerrier du désert, le prélat ultra-zélé avec sa petite taille, son embonpoint, son âge, sa calotte rouge, l'écharpe rouge sur sa soutane, les chaussettes rouges dans ses escarpins, avait l'air d'un simple comédien.
Qadhafi déclara qu'il n'y avait pas différences majeures entre les christianisme et l'islam et qu'il suffisait que les chrétiens corrigent les falsifications contenues dans les Evangiles et reconnaissent le prophète Mohamed comme le porteur de la révélation divine. La délégation de Pignedoli fut mise dans un état visible de confusion et de consternation.
Entre-temps loin du palais des congrès, les secrétaires libyens et du Vatican mettaient au point un communiqué conjoint.
Ce qui arriva alors stupéfia tout le monde. A l'issue de la conférence, alors que Pignedoli et Kadhafi quittaient le palais des congrès ensemble, les Libyens diffusèrent un communiqué conjoint en arabe. Il comprenait deux paragraphes consacrés à la Palestine. Le paragraphe 20 dénonçait le sionisme comme "un mouvement raciste et agressif, étranger à la Palestine et à toute la région de l'Orient". Le paragraphe 21 affirmait "le caractère arabe de Jérusalem" et rejetait "les plans de judaïsation, de partition ou d'internationalisation" de la ville. Les deux 'parties' confirmaient "les droits nationaux du peuple palestinien et son droit à retourner sur ses terres" et exigeaient "la libération de tous les territoires occupés". Ces déclarations firent l'effet d'une bombe! Les journalistes présents se précipitèrent pour informer leurs rédactions d'un changement radical dans la politique du Vatican envers Israël et les Palestiniens.
Sauf qu'il n'y avait pas de changement. Selon une source, les représentants du Vatican du comité de rédaction étaient des chrétiens arabes qui n'avaient pas expliqué la totalité du texte à Pignedoli. Le cardinal fit une tentative désespérée pour convoquer une conférence de presse afin de clarifier la position de l'Eglise, mais ses hôtes libyens l'en empêchèrent prétextant des 'problèmes techniques'. C'était de toute façon trop tard: il avait été "pris au dépourvu" (les mots d'un journaliste), les Libyens en avaient profité, et les médias avaient une bonne histoire. Un rapport de presse donnait le ton: "La personne qui a conseillé au Vatican d'envoyer une délégation en Libye à une grande réunion avec les dirigeants religieux musulmans pourrait se trouver dans une position très difficile. La grande publicité accordée au colloque islamo-chrétien à Tripoli cette semaine est l'un des plus grands fiascos de la diplomatie du Vatican récente".
La Curie Romaine - le gouvernement du Vatican - tenta de limiter les dégâts et rejetta formellement les deux paragraphes incriminés indiquant que leur contenu ne correspondait pas, dans ses points essentiels, à la position bien connue du Saint-Siège. Des sources vaticanes informèrent une agence de presse juive que la délégation du Vatican n'était pas habilitée à prendre des décisions politiques et n'aurait pas dû le faire. Une autre source vaticane "très bien informée" rapporta que le Saint-Siège était "mortifié" par l'épisode, mais voulait évidemment éviter d'accuser les participants musulmans de mauvaise foi ou de suggérer une quelconque incompétence ou naïveté des sa part." Or il est évident que ce sont ces ingrédients qui conduisirent au désastre.
En tout cas, le cardinal ne fut pas élu Pape!
Lire l'article de Martin Kramer ICI.
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