Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, vient de publier «Race»: un mot de trop? Science, politique et morale (CNRS Éditions):
Le culte célinien a eu ses Cinquante Glorieuses. Mais, depuis quelques années, il a de moins en moins d'adeptes. Nous assistons aujourd'hui à la fin d'un engouement soigneusement entretenu par divers milieux culturels, éditoriaux et académiques, qui ont favorisé pour diverses raisons la confusion entre la question esthétique et la question biographique, comme si l'enthousiasme suscité par la lecture de Voyage au bout de la nuit pouvait et devait sauver de l'opprobre l'individu Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, et faire oublier ses engagements politiques. La réhabilitation littéraire de l'écrivain a dérivé vers la célébration du personnage - assimilé indûment à Bardamu (le héros de Voyage) -, pour en masquer la triste figure, celle d'un antijuif fanatique fasciné par le nazisme, d'un comédien provocateur, d'un menteur ordinaire et d'un martyr imaginaire.
La mise en scène d'un «martyr»
L'admiration pieuse et inconditionnelle pour le «génie littéraire» nommé Céline, avec son cortège de légendes fabriquées par le «grantécrivain» lui-même, a longtemps fait partie du culturellement correct. Le snobisme célinophile permettait aux esprits grégaires de se prendre pour des aventuriers de l'esprit, des anticonformistes d'élite. La vénération pour le supposé «visionnaire» se colorait de compassion pour la prétendue «victime» qu'il aurait été. C'est là le cœur de la légende célinienne, celle d'un héros et d'un martyr de «La Littérature», injustement accusé, voire persécuté. Alors qu'on découvrait les horreurs de l'extermination nazie des Juifs d'Europe, Céline écrivait à son épouse, le 13 août 1946: «Le persécuté, c'est moi.» La leçon victimaire a été entendue par les admirateurs aveugles de l'écrivain, puis récitée comme une prière ou fredonnée comme un refrain.
De Faurisson à Sollers en passant par Nabe et Soral, des marginaux aux installés de la célinerie, les prédicants célinistes ont tous entonné le credo victimaire. Est-il besoin de préciser que la vénération pieuse ne confère ni compétence particulière ni autorité intellectuelle? Il faut bien sûr distinguer les adeptes naïfs du culte célinien des propagateurs de la légende mi victimaire mi héroïsante. Nous nous trouvons à la fois devant un phénomène de croyance, relevant de l'idolâtrie, et du résultat d'un long travail de désinformation, origine du culturellement correct célinien observable depuis les années 1980. Aucun argument n'ébranle les sectateurs de Céline, voués à défendre becs et ongles leur idole mais aussi leurs intérêts propres, lorsque sont menacées leurs carrières ou leurs réputations. Pas plus qu'avec les fans de Johnny ou ceux de Lénine, on ne saurait discuter sérieusement avec les fans de Céline - de l'homme, soulignons-le, et non plus simplement de l'écrivain. […]
«Je suis raciste et hitlérien, vous ne l'ignorez pas», écrit Céline à Robert Brasillach en juin 1939. Et d'ajouter: «Je hais le Juif, les Juifs, la juiverie, absolument, fondamentalement, instinctivement, de toutes les façons. Une haine parfaite.» Cette lettre, Brasillach refusera de la publier dans Je suis partout, comme d'autre part la suite. Céline, par son pro-hitlérisme inconditionnel et son extrémisme antijuif, avait réussi à choquer la direction de l'hebdomadaire fasciste. Ce fanatique de la haine des Juifs avait donc bien des idées fixes, de grosses convictions, mais pas de pensée politique, à la différence d'un Maurras, par exemple.Lire l'article complet @ Figaro Vox
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire