"Notre supériorité morale n’est qu’un coup de chance. Il nous confronte avec le fait que des gens qui nous ressemblent en tout ne peuvent éviter la tragédie de la violence. Nous réalisons que si nous étions confrontés à un tel ennemi – ce qui semble de moins en moins imaginaire - nous devrions agir de la même manière. C'est une blessure que le narcissisme moral européen ne supporte pas. Et comme toujours, le narcissique menacé ne met pas en cause son propre comportement, mais plutôt la réalité elle-même. La réalité doit être transformée de manière telle que nous ne nous sentions pas menacés par le fait de reconnaître que la tragédie où Israël est placé pourrait être la nôtre. Voilà le mobile le plus profond de la diabolisation d'Israël par l’Europe. Diabolisation où les Israéliens sont considérés comme les instigateurs de ce conflit, et non comme des gens semblables à nous, qui avons le droit de ne pas nous laisser bombarder par des roquettes. Une diabolisation où les Israéliens sont présentés comme des assassins génocidaires, qui tirent délibérément sur des enfants, et non comme ceux qui font tout pour éviter cela, alors qu’ils se battent contre une organisation terroriste qui ne partage pas ces valeurs et proclame fièrement qu’elle utilise des boucliers humains."
(Dennis Baert [photo] est doctorant en philosophie à l'Université d'Anvers. Il étudie la façon dont l'Europe aborde le conflit de Gaza et les liens avec l'échec du pacifisme. Titre de son travail: "La paix totale et son ombre.") Texte original (Waarom Europa van Israël een duivel maakt) publié dans Redactie.be. Traduction: Marc Reisinger.
Une chose très troublante est apparue au cours des dernières semaines dans les commentaires sur le conflit de Gaza. Chaque jour, nous sommes confrontés à un flux de raisonnements biaisés, de demi-vérités et de mensonges totaux dont la motivation sous-jacente est toujours la même: une diabolisation quasi grotesque d'Israël et de ses citoyens. Le point le plus lamentable a été l’utilisation du terme "Gazacauste".
Nous sommes désormais tellement habitués à ce déséquilibre à l’égard d’Israël, que nous le considérons presque comme évident. Cependant, si l’on prend la peine d’observer ces faits avec une distance critique, ils semblent étranges.
Quelles sont les données vérifiables et solides de ce conflit, au-delà de l'hystérie et des plaidoyers déguisés en opinions engagées? Le Hamas, une organisation terroriste islamiste dont les objectifs théocratique et génocidaire sont indiqués explicitement dans sa charte, a recommencé pour la énième fois à lancer des roquettes sur des cibles civiles en Israël, sachant parfaitement que cela aurait de terribles conséquences pour les personnes qu'ils prétendent représenter.
Israël - un pays dont la culture et l’organisation sociale ressemblent aux démocraties européennes – veut arrêter ces tirs et se voit forcé de lancer une action militaire, tout en veillant autant que possible à la sécurité des populations civiles, utilisant pour cela des techniques inédites dans l'histoire des guerres. Le Hamas, au contraire, déploie une stratégie militaire qui vise à générer autant de victimes civiles que possible, utilisant des lieux tels que les écoles et les hôpitaux comme base de combat pour diffuser des images de propagande.
Tout cela est largement documenté et même revendiqué par les dirigeants du Hamas. Ajoutons que si on en croit la vigueur des points de vue et l’âpreté du langage utilisé, on pourrait croire que ce conflit armé est le plus sanglant de l’époque. En réalité, il ne représente même pas un candidat sérieux au top ten; quant à l'utilisation du mot génocide il est très loin de s’appliquer.
Israël ressemble à l'Europe
En tenant compte de tout cela, la question s’impose de comprendre pourquoi on diabolise autant Israël. Quelle est la raison d'un tel revirement de sympathie? Pourquoi tant d'intellectuels en Europe semblent-ils perdre les pédales?
La réponse fréquente à cette question est l'antisémitisme. La vieille haine du Juif, Autre éternel de l'Europe, qui amène à perdre le sens de l’équilibre lorsqu’on parle d’Israël. On ne peut écarter ce facteur. La manière dont un certain nombre de leaders d’opinion font le maximum pour ignorer l’aspect de pogrom que prennent certains actes violents commis par des musulmans européens fait craindre le pire.
Néanmoins, je ne crois pas que cette explication soit suffisante pour résoudre la question. Il se pourrait que ce ne soit pas l’altérité «juive» d’Israël qui excite le ressentiment de ces leaders d'opinion, mais paradoxalement, le fait qu’Israël ressemble fort à l'Europe. C'est précisément parce qu’Israël est une société semblable à l’Europe, avec des gens qui visitent Tomorrowland et dont l’univers est proche du nôtre, qu’Israël subit notre haine. Seules des personnes qui nous ressemblent tellement, peuvent confronter l’âme européenne avec une vérité inconfortable. Une vérité profondément dangereuse pour l'image de soi de l’Europe. Quelle image?
De la guerre totale à la paix totale
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – où il est devenu clair que le centre politique, économique et culturel du monde est passé définitivement de l'autre côté de l'Atlantique -, les élites intellectuelles européennes sont à la recherche d’une image de soi qui puisse compenser cette blessure narcissique.
Elles l’ont trouvée dans un sentiment de supériorité morale: l'Europe, continent des droits de l'homme, de la raison éclairée et de l'humanisme. Une part essentielle de cette idée de supériorité se situe dans le pacifisme doctrinaire. Un pacifisme qui a rompu avec l'idée de guerre juste, et pour lequel chaque goutte de sang est excessive. Le fait que la condition humaine n’empêche pas que nous soyons parfois obligés - pour des raisons morales ou de légitime défense - , de faire la guerre et que par conséquent les victimes innocentes ne puissent être évitées, ne trouve plus de place dans ce cadre de pensée.
Au contraire, toute utilisation des armements est considérée comme évitable ou pour le moins comme "n’en valant pas la peine". «La paix à tout prix» ou «Plus jamais la guerre» sont devenus des dogmes absolus, contre lesquels il n’est plus question de s’élever. Cet état d’esprit a été parfaitement décrit par le chanteur et dissident d’Allemagne de l'Est Wolf Biermann qui déclarait en 2003: «Lorsque la possibilité d'une paix hitlérienne disparut en Europe, Goebbels hurla dans le Palais des sports de Berlin: «Voulez-vous la guerre totale?» Et les Allemands fidèles aux nazis rugirent avec enthousiasme Jaaaa! Maintenant? - 60 ans plus tard, lorsque les autorités élues de la République de Berlin demandent: Voulez-vous la paix totale? - Les Allemands purifiés crient à nouveau sans réserve, Jaaaa"!»
Pourtant nous avons encore des ennemis
Ce «pacifisme total» européen a cependant mauvaise conscience. George Orwell savait que le "pacifisme est une idéologie qui ne peut être défendue que par des gens disposant de beaucoup d'armes et d'argent pour les séparer de la réalité". C’est le cas de l'Europe contemporaine
Nous pouvons nous permettre notre dogme pacifiste et son discours détaché parce que depuis trois générations nous sommes dans une situation géopolitique sans précédent: dans laquelle il est devenu très improbable qu’un ennemi puisse tenter de nous priver de notre liberté ou de notre vie. Et cet état nous ne l’avons même pas obtenu par nous-mêmes, mais essentiellement grâce à nos amis américains qui, grâce à dieu, ne furent pas pacifistes lorsqu’il fallut abattre le nazisme et protéger l'Europe occidentale contre l'expansion soviétique qui suivit.
Tandis que les élites européennes se sentent supérieures aux cow-boys américains, ces cow-boys nous ont épargné une insurrection hongroise, un Printemps de Prague ou Solidarnosc. Pourtant ce cocon géopolitique postérieur à la guerre commence, depuis un certain temps, à montrer des failles. Nous commençons à nous apercevoir que nous avons encore des ennemis; ennemis avec lesquels nous ne pouvons pas négocier, et dont nous ne pouvons pas nier la barbarie, aussi forts que nous essayions. Des ennemis qui parfois recrutent dans nos propres villes et que nous ferions mieux de croire sur parole lorsqu’ils proclament à haute voix qu'ils ne désirent rien d’autre que notre destruction.
Et si nous nous trouvions dans la même situation
Israël est la victime récurrente de cette mauvaise conscience européenne. En observant Israël, nous voyons une société très analogue à la nôtre, mais avec une différence cruciale: elle est entourée d'ennemis qui considèrent comme leur devoir sacré de rayer ce pays de la carte avec tous ses habitants. Un pays obligé d’utiliser la force à contre-coeur. Celui qui combat un ennemi comme le Hamas n’a pas vraiment le choix.
Et croyez-moi: la société israélienne ressent profondément la tragédie à laquelle elle est contrainte par un ennemi barbare comme le Hamas, qui a commencé ce conflit et le mène d’une manière telle que les victimes civiles sont inévitables. Mais il s’agit d’une réalité que l'image de soi européenne ne peut pas gérer. Elle nous confronte avec le fait que notre pacifisme est superficiel , simple résultat de circonstances heureuses. Notre supériorité morale n’est qu’un coup de chance. Il nous confronte avec le fait que des gens qui nous ressemblent en tout ne peuvent éviter la tragédie de la violence. Nous réalisons que si nous étions confrontés à un tel ennemi – ce qui semble de moins en moins imaginaire - nous devrions agir de la même manière.
Narcissisme européen
C'est une blessure que le narcissisme moral européen ne supporte pas. Et comme toujours, le narcissique menacé ne met pas en cause son propre comportement, mais plutôt la réalité elle-même. La réalité doit être transformée de manière telle que nous ne nous sentions pas menacés par le fait de reconnaître que la tragédie où Israël est placé pourrait être la nôtre.
Voilà le mobile le plus profond de la diabolisation d'Israël par l’Europe. Diabolisation où les Israéliens sont considérés comme les instigateurs de ce conflit, et non comme des gens semblables à nous, qui avons le droit de ne pas nous laisser bombarder par des roquettes. Une diabolisation où les Israéliens sont présentés comme des assassins génocidaires, qui tirent délibérément sur des enfants, et non comme ceux qui font tout pour éviter cela, alors qu’ils se battent contre une organisation terroriste qui ne partage pas ces valeurs et proclame fièrement qu’elle utilise des boucliers humains.
Pendant ce temps, ce sont paradoxalement les Palestiniens qui paient le prix du baume posé sur l'ego sensible des européens. Leur intérêt réside en effet dans la reprise du processus de paix visant à une solution à deux Etats. Ce qui ne peut advenir que si Israël reçoit la garantie ferme qu'un Etat palestinien ne se transformera pas immédiatement en vaste base militaire dirigée contre lui, ce qui implique qu'une organisation comme le Hamas disparaisse complètement de l'équation.
L'Europe pourrait jouer un rôle de médiateur important, mais ses élites - ou ceux qui passent pour tels – se livrent plus volontiers à une diabolisation confortable d'Israël et au blanchiment presque absurde du Hamas. Ainsi, le Hamas est sûr alors d’avoir les mains libres et de pouvoir générer le plus grand nombre de morts possibles. C'est le prix réel payé pour l’utilisation de mots comme «Gazacauste."
Ce site est dédié aux millions d'Européens qui, malgré d'incessantes campagnes de désinformation, ne croient pas que les Juifs ne sont capables que du pire; ne dissimulent pas leur antisémitisme dans le langage de l'antisionisme; et savent qu'Israël représente ce qu'il y a de meilleur dans une démocratie.
10 commentaires :
Dennis Baert a une analyse intéressante sauf qu'elle comporte une faille de taille : toute sa rhétorique est basée sur un argumentaire selon lequel l'Europe ne fait plus la guerre et croit au "pacifisme total", oubliant par là même les guerres d'Afghanistan et du Mali auxquels les Français ont participé. Il semble donc que le problème n'est donc pas lié véritablement au dogme de l'inconditionnel pacifisme... Que reste-t-il alors ? Pourquoi une intervention militaire française sera toujours mieux acceptée qu'une intervention militaire israélienne ? Dennis Baert l'a évoqué mais négligé, pensant son analyse plus pertinente... L'antisémitisme.
Si Israël et l'Europe ont des sociétés qui se ressemblent, alors quelle différence existe-t-il entre lui et elle si ce n'est le caractère officiellement juif et fièrement revendiqué du 1er ?
Pourquoi la guerre contre les Talibans et contre d'autres groupes islamistes est-elle mieux acceptée et soit présentée comme plus justifiée que la guerre contre le 'Hamas et le Jihad islamique, si ce n'est justement pas en fonction de cette seule différence ?
תודה רבה,קרבי ;o)
Ami Artsi, je partage entièrement votre point de vue. Dans les années 30 en Europe, la presse se déchainait contre les Juifs, et pas seulement en Allemagne. Les antisémites évoluaient à découvert. Nous avons voulu croire que tous ces gens avaient changé d'idées suite à la guerre. Quelle illusion ! Il n'était simplement pas de bon ton d'afficher son antisémitisme après 1945. Il n'avait pas disparu pour autant. Il faudra probablement en tirer es leçons et envisager de quitter cette Europe qui ne nous a jamais aimé et qui désormais le revendique à nouveau. Je crois sincèrement qu'on peut mesurer le degré de civilisation d'un pays à son attitude vis à vis des Juifs. Je crois aussi qu'un pays quitté pas ses Juifs le paie très cher à terme en se privant de citoyens éduqués, travailleurs, intelligents, parfois aisés, surtout comme c'est le cas en Europe pour les remplacer par des immigrés pauvres, souvent incultes, d'une culture insoluble dans la démocratie, et seulement attirés par les avantages sociaux distribués inconsidérément.
L antisemitisme qui n a jamais disparu s affiche ouvertement en grand avec les politiques , les medias, les universites, les artistes etc... Cela fait beaucoup de monde qui vote .
Ami Artsi et "Anonyme , je vous remercie de la pertinence et de la lucidité de vos commentaires. Je ne suis ni juif, ni riche, ni conservateur,simplement un observateur éffaré par l'aveuglement des pseudo élites européennes; au retour d'un voyage d agrément en Israel avec mon fils jeune adulte et tout comme moi membre du parti socialiste suisse , je suis fier d'avoir ainsi, bien modestement, montré ma solidarité avec cet État démocratique constamment agressé depuis sa création.Courage Israel ! Et merci pour le combat que vous menez à notre place.
Ami Artsi et "Anonyme , je vous remercie de la pertinence et de la lucidité de vos commentaires. Je ne suis ni juif, ni riche, ni conservateur,simplement un observateur éffaré par l'aveuglement des pseudo élites européennes; au retour d'un voyage d agrément en Israel avec mon fils jeune adulte et tout comme moi membre du parti socialiste suisse , je suis fier d'avoir ainsi, bien modestement, montré ma solidarité avec cet État démocratique constamment agressé depuis sa création.Courage Israel ! Et merci pour le combat que vous menez à notre place.
2 points:
1/ L'Europe croit connaitre les Musulmans et les Arabes; mais cette connaissance repose sur le Passé C.A.D une epoque ou ces deniers etaient soit colonisés soit en minotité en Europe.
Aujourd'hui, ce colonialime est fini mais surtout Arabes et Musulmans ne sont plus une petite minorité en Europe (plusieurs millions,)et sont des europeens de droit.Leurs valeurs sont opposées a celles judeo-chretiennes de l'Europe.
Ce hiatus est grave.
2/ dans la Torah cette semaine nous avons lu un passage qui explique que la justice legale n'est pas suffisante car il faut lui adjoindre la justice morale;c'est grace a cette pratique que les aviateurs israeliens evitent les massacres que la "legalité" pourrait autoriser face aux terroristes qui se cachent derriere des civils..
cet article dédouanne les états et leur politique pro-pétrole.
Israël et les juifs sont un défouloir qu'on donne aux pays producteurs de pétrole au moyen orient, et à leurs amis, pour une région destabilisée, et la consquence inévitable : des peuples divisés, la guerre, ..., et un pétrole bon marché.
c'est celle là la véritable raison.
Cher Anonyme, Dennis Baert ne "dédouane pas les états et leur politique pro-pétrole". Ce n'est pas le propos de son article.
Karl Pfeifer rapporte cette observation de Josef Hindels (nous devrions tous être conscients de ce fait) et la question démographique et là on le sait les Juifs ne font pas le poids:
"The leftwing socialist of Jewish descent and former Trotskyite Josef Hindels (1916 – 1990) quoted a socialist politician, who said, "If the murdered Jews could vote I would be gladly ready to speak about the crimes of the Nazi also at election meetings. However unfortunately
we need the votes of those, who murdered them.”
Now there are more than 400.000 Muslims living in Austria, whose votes the party needs. That explains why some Austrian politicians suffer from selective cognition."
Et la réponse de Gur Nischt:
"Spot on. The Holocaust made sure that the Jews are no longer a force to reckon with in Europe. All non-Jewish Europeans gained from it, whether they approve or not. The jobs and the clout that the Jews had went to other people - to the Europeans as we know them today. It is safe for them - even for the Guardian - to talk about 'antisemitism', it is safe to say 'never again' and to visit Auschwitz, because there will be no political price for such recognition. The supposedly democratic, 'new' Europe grew smug and fat on American protection and Jewish corpses."
http://hurryupharry.org/2014/08/26/austrian-president-heinz-fischer-is-worried-about-israel/
AMi Artsi.
Sans chercher à réfuter votre argument, il me semble que certains points donnent du poids à l'analyse de Baert.
La guerre en Afghanistan a mauvaise presse (au sens propre et au sens figuré) en Europe. La majorité des commentateurs y voit une anomalie regrettable qu'il serait bon de corriger. L'opération au Mali (par ailleurs assez maigre pour qu'on puisse parler de guerre mobilisant un pays) ne concerne que la France. Les autres nations européennes, n'y voyant qu'une intervention de la France dans son pré africain, se sont retranchées derrière quelques bonnes paroles et se sont gardées de soutien direct.
Pour l'Irak, la majorité des pays européens à déploré l'intervention américaine. Quant aux autres guerres (Yougoslavie, Libye), elles avaient toutes, pour les commentateurs et les acteurs politiques, le cachet de l'opération humanitaire qui pouvaient les soustraire au monde de l'Histoire et de la politique réelle. MSF avec un fusil, pour ainsi dire.
Il me semble donc que Baert soulève un lièvre intéressant - quelle que soit la place éventuelle de l'antisémitisme larvé au sein des élites. L'Europe veut à tout prix se fermer les yeux et vivre un rêve puéril. Israël vient l'arracher à son utopie, l'éveillant au monde réel où la peur et le sang ont leur part.
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