jeudi 14 avril 2011

La 'Shoah' des migrants qui ont péri en mer, un amalgame malheureux, Menahem Macina

"En plaquant sur un événement, certes dramatique mais sans commune mesure avec la tragédie de millions d'hommes, cet extrait d'un discours du pape Benoît XVI, consacré à la mémoire de l'Extermination, vous faites, comme tant d'autres, de la Shoah, une référence mémorielle universelle qui s'applique automatiquement à toutes les catastrophes."

Source: Debriefing

Dans un éditorial du 11 avril, dont se fait l'écho l'Agence catholique de Presse Zenit, de Rome, le directeur de la Salle de Presse du Vatican invite à prier pour les migrants qui ont péri en mer récemment. Une telle démarche est en soi légitime, mais pourquoi le P. Lombardi se croit-il obligé de faire un amalgame aussi déplacé entre cette tragédie humanitaire et l'horreur unique de la Shoah ?

Ils [les migrants] sont morts dans leur fuite pour échapper à la faim, à la pauvreté inhumaine, à l'oppression, à la violence, à la guerre [...] prenant le risque de mourir dans les flots sans laisser de trace, ni même le souvenir de leur nom,

commente Lombardi, qui poursuit :

La compassion nous oblige à «ne pas oublier, à faire mémoire - comme cela se fait pour toute autre tragédie indicible de l'humanité -, d'une histoire qui est la nôtre, par solidarité envers les pauvres de la terre».

Et soudain, voici le glissement, l'insupportable comparaison :

Le peuple juif, en élevant le mémorial de Yad Vashem, le «mémorial des noms», l'a parfaitement compris […] Dans ce lieu, Benoît XVI avait prononcé une méditation qui, ces jours-ci, a tout son sens face à la mort de tant de victimes innocentes et inconnues. «Ils ont perdu leurs vies mais ne perdront jamais leurs noms», avait dit le Pape […], «car ces noms sont profondément gravés dans le cœur de ceux qui les aiment, de leurs compagnons de détention qui ont survécu et de tous ceux qui sont déterminés à ne plus jamais permettre qu'une telle atrocité déshonore à nouveau l'humanité. Plus que tout, leurs noms sont à jamais inscrits dans la mémoire du Dieu Tout-Puissant. Que leur souffrance ne soit jamais niée, discréditée ou oubliée ! Et que toutes les personnes de bonne volonté demeurent attentives à déraciner du cœur de l'homme tout ce qui peut conduire à de telles tragédies!», avait-il ajouté.


Et l'Agence Zenit de terminer sa dépêche en ces termes :

le père Lombardi termine son éditorial sur un appel à «déraciner la haine qui a conduit à la shoah et à tout faire aujourd'hui pour déraciner les injustices, l'indifférence et l'égoïsme qui conduisent trop de personnes, aspirant à une vie plus humaine, à disparaître dans les eaux de la mer. Dieu se souvient d'eux, souvenons-nous d'eux, nous aussi», conclut-il.

Je passerai sans doute pour un détracteur irréductible de membres de l'Eglise pleins de bonne volonté, ou pour un obsédé de la supériorité du drame de la Shoah sur tous les autres drames qui ont frappé et frappent encore l'humanité. Tant pis. Ce que je veux dire ici au P. Lombardi et aux organes de presse catholiques est ceci :

En plaquant sur un événement, certes dramatique mais sans commune mesure avec la tragédie de millions d'hommes, cet extrait d'un discours du pape Benoît XVI, consacré à la mémoire de l'Extermination, vous faites, comme tant d'autres, de la Shoah, une référence mémorielle universelle qui s'applique automatiquement à toutes les catastrophes. Je ne doute pas de vos bonnes intentions. De vous et de vos semblables je dirais par la bouche de Paul : «je leur rends témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu; mais c'est un zèle mal éclairé.» (Epître aux Romains, 10, 2).

En diluant ainsi l'incommensurable tragédie de la Shoah pour en faire un paradigme qui s'applique à tout événement, si douloureux et incompréhensible soit-il, vous contribuez, sans le savoir, à la relativisation, puis à la négation du caractère unique de la Shoah, laquelle est définitivement irréductible à tout autre drame (*). Souvenez-vous des réactions aiguës des apologètes chrétiens aux affirmations de ceux pour qui la mort de Jésus-Christ n'avait été qu'une mort parmi d'autres et comme les autres, et qu'il y a bien d'autres souffrances, plus grandes et plus horribles que la sienne. Vos théologiens réagissaient alors avec scandale à cette assimilation, qu'ils réputaient blasphématoire. Le Christ affirmaient-ils, n'est pas qu'un homme, il est aussi le Fils de Dieu, par conséquent, personne ne peut comprendre la nature réelle de cette mort ignominieuse et rédemptrice et des souffrances qui l'accompagnaient.

Eh bien, faites un petit effort mental et spirituel et représentez-vous un autre mystère auquel jusqu'à ce jour, sauf exceptions rarissimes, les chrétiens sont aveugles, à savoir, le caractère unique du Serviteur souffrant (cf. Isaïe) qu'est, à sa manière, le peuple juif depuis le début de sa constitution par Dieu, et partant, le caractère unique de la souffrance collective inouïe qui fut la sienne au fil des siècles, laquelle atteignit son apogée ignominieuse lors de la destruction des Juifs d'Europe par le nazisme, dans le silence quasi total des nations chrétiennes et, sauf glorieuses et rarissimes exceptions, de leurs instances religieuses les plus hautes…

Et si la comparaison vous choque, méditez ces paroles d'un grand chrétien (protestant), le pasteur Willem Visser't Hooft, qui s'exclamait :

Mettre sur le même plan le génocide des Juifs et l'oppression infligée aux autres Européens, c'était […] «une dangereuse demi-vérité qui ne pouvait que servir à détourner l'attention du fait qu'aucune autre race ne s'[était] trouvée, devant la possibilité d'avoir chacun de ses membres […] menacé de mort dans les chambres à gaz.» (**).

(*) Le professeur Shmuel Trigano a traité en profondeur de cette véritable idéologie dans son ouvrage de 2005 : Les Frontières d'Auschwitz : Les ravages du devoir de mémoire [Poche].
(**) Cité d'après David S. Wyman, L'abandon des juifs, les Américains et la Solution finale, Flammarion, Paris, 1987, p. 430.

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