"Je vais vous raconter un souvenir à peine publiable: il y avait près des Champs-Élysées un cabaret, Le Vernet, où se produisait un chansonnier, au demeurant assez sympathique, Jean Rigaux. Il était un des grands chansonniers d'avant la guerre. Pendant la guerre, Rigaux, qui était plutôt de gauche s'était terré, alors que d'autres poursuivaient leur carrière avec un opportunisme honteux.
Un soir je suis invité dans ce cabaret par deux amis. Au cours du spectacle, une espèce de jeu implique les spectateurs qui pour poser des questions doivent décliner leur nom. Dans la salle trois personnes posent successivement une question en précisant: "Je m'appelle Lévy", "Je m'appelle Bronstein", "Je m'appelle Samuel". Et Rigaud de lâcher: "Mais c'était pas des fours crématoires, c'était des couveuses!"
Il y a eu quelques rires gênés. Moi-même, je n'ai pas eu la dignité élémentaire de sortir à ce moment-là."
Voyage dans le Demi-Siècle, Entretiens croisés avec Gérard Chaliand et Jean Lacouture, Éditions Complexe, 2001. p.p. 38-39.
1 commentaire :
Ce souvenir, ainsi que les quelques citations émouvantes à droite de l'article, m'ont profondément émue.
Je tiens à vous en remercier et à vous féliciter d'avoir publié cela. Il est malheureusement nécessaire de secouer la mémoire des êtres humains régulièrement, car ils oublient trop vite pour profiter des leçons du passé.
Bernice
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