lundi 4 janvier 2010

La Norvège, Gaza et la globalisation des émotions

"Les Dr. Mads Gilbert et Erik Fosse ont travaillé non seulement en tant que médecins à l'hôpital Shifa pendant la guerre de Gaza, mais ils se sont dédoublés en reporters. Après la guerre il publièrent un livre "Les Yeux de Gaza" qui est devenu un best-seller qui en est à sa quatrième édition. On peut considérer ce fait comme le coup de relations publiques le plus spectaculaire depuis que l'aventurier et explorateur polaire Fridtjof Nansen rendit la Norvège célèbre pour avoir effectué la traversée du Groenland à pied en 1888."

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Il y a sept ans, le sociologue allemand Ulrich Beck écrivait dans Le Monde "Le Nouvel antisémitisme européen" (extraits):

"Le visage hideux de l’antisémitisme n’est pas nouveau. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’enchevêtrement du global et du local au sein des conflits, c’est la globalisation du conflit israélo-palestinien. Et c’est ce paradoxe qui fait que c’est précisément la sensibilité aux droits de l’homme - et la critique d’Israël qui en découle - qui vient menacer les digues édifiées contre l’antisémitisme.

C’est justement parce qu’il va de soi que des Européens critiquent la politique du gouvernement israélien - et que ceux qui critiquent Sharon ne sont pas automatiquement des antisémites - que le conflit israélo-palestinien, tel qu’il est intériorisé en Europe, sape les formes de sociabilité multiculturelles qui ont été une conquête de ces dernières années. A mesure que la critique de Sharon ou d’Israël gagne ou paraît gagner en légitimité morale et qu’elle s’adresse de plus en plus unilatéralement à Israël ; à mesure qu’une spirale de violences et de haines de plus en plus ataviques donne au conflit du Moyen-Orient les dimensions grandissantes d’un recul de civilisation ; à mesure que ce conflit se prolonge, les formes que revêtaient l’entente et la réconciliation entre juifs et non-juifs se retrouvent gravement menacées, et pas uniquement en Allemagne ou en Europe.

Comment s’opposer à cette évolution, comment la combattre ? Peut-être serait-il salutaire de se poser cette question préalable : quelle serait mon évolution personnelle si je devais quotidiennement prendre un bus de ligne, à Haïfa, pour me rendre au travail ? En Europe, contrairement à Israël, on n’argumente pas - gardons la métaphore - avec un ticket de bus dans la poche.

Il est d’autant plus douloureux, dans cette situation, que ce soient justement ceux qui prennent au sérieux les obligations nées de la Shoah qui enferment Israël dans un ghetto moral. [...] il faut que le terrorisme-suicide palestinien soit privé, en Europe, de l’approbation tacite dont il bénéficie ; il faut qu’il soit ostensiblement condamné devant l’opinion mondiale pour ce qu’il est : un acte barbare qui viole de manière flagrante les règles minimales de la civilisation, et qu’à ce titre il soit privé de la justification et de la tolérance dont il bénéficie quand on voit en lui une forme de "contre-terreur"."

La guerre qu'Israël a livrée aux terroristes du Hamas a illustré de façon éclatante "la globalisation des émotions" qu'a saisie l'Europe. La Norvège n'a pas été épargnée - certains Norvégiens ont vécu l'opération Plomb Durci comme un traumatisme/un cataclysme personnel et national ...
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Source: "Eyes in Gaza" – the politics of emotion, Norway, Israel and the Jews (NI&J)

Deux médecins norvégiens, Mads Gilbert et Erik Fosse, étaient présents à Gaza pendant l'opération Plomb Fondu et ont écrit un ouvrage "Les Yeux de Gaza" totalement à charge d'Israël. (Ironie du sort, Erik Fosse, de retour à Gaza pour commémorer le début de l'opération, a été poignardé le 26 décembre par un fanatique mais s'est empressé d'attribuer la faute à l'Occident ...)

Le site Norway, Israel and the Jews a publié une critique acerbe du récit des deux médecins et s'étonne que des Norvégiens aient vécu l'opération contre les terroristes du Hamas comme une véritable tragédie nationale. Le site fait remarquer que la Norvège est en guerre en Afghanistan et que ses soldats y risquent leur vie, mais comme partout ailleurs en Europe c'est le conflit israélo-arabe qui capte toute l'attention médiatique. A un tel point que le Ministre des Affaires étrangères Jonas Gahr Støre et l'ancien Premier Ministre Kåre Willoch ont fait l'éloge des deux médecins sur la quatrième couverture du livre (voir ci-dessous), et le Premier Ministre en exercice Jens Stoltenberg a fait de même sur Facebook.

Jonas Gahr Støre, Ministre des Affaires étrangères :

Quand la guerre fait rage, la voix des civils est rendue inaudible. Erik Fosse et Mads Gilbert étaient, en tant que médecins à Gaza en janvier 2009. Et ils ont dit ce qu'ils y ont vu. Ce n'était pas leur devoir, mais c'était leur responsabilité. Lorsque la force militaire fait taire toutes les voix, le poids du témoignage des rares personnes qui parviennent à se faire entendre est d'autant plus puissant - et capital.
Kåre Willoch, ancien Premier Ministre :

Pendant que la population de Gaza était soumise à une souffrance indicible, Israël maintenait les journalistes à l'écart du théâtre des opérations. Mais deux médecins norvégiens étaient là. Leur témoignage puissant jette une lumière crue sur la brutalité. Cette brutalité fait également du tort à Israël, et constitue un obstacle à la paix.
Jens Stoltenberg, Premier Ministre en exercice sur Facebook (VG, 11/01/2009) :

Ce soir, j'ai appelé et parlé avec Fosse et Gilbert. Je voulais exprimer ma gratitude et rendre hommage au travail qu'ils ont accompli pour soulager les souffrances de la population de Gaza depuis le 31 décembre de l'année dernière. Ils ont non seulement fait preuve d'un véritable sens de responsabilité professionnelle mais ont également donné un exemple de grand courage et d'humanité. Leur voix ont résonné dans le monde entier.

2 commentaires :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

On se souvient que c’est à la bataille de Sébastopol que la Croix-Rouge a trouvé son origine et sa vocation de soins et de prise en charge des blessés. Pour la première fois, les combattants échappaient au statut exclusif de « chair à canons » et une
« exigence humanitaire » venait se coller aux violences d’État. Les tueries de 1914-1918, les hécatombes de la Seconde Guerre mondiale confirment que le destin du combattant ne cesse pas avec la fin des combats.

Des combattants d’hier aux victimes civiles d’aujourd’hui, on constate un énorme gonflement du nombre de ceux qui sont susceptibles de mériter un traitement « humanitaire ». Le xxe siècle a clairement inventé la notion de victime à grande échelle tant par les horreurs génocidaires et les armes sophistiquées que par l’explosion quantitative et qualitative du statut de victime sous l’effet du prétexte de l’universalité des droits de l’homme. Celui-ci autorise l’ingérence humanitaire parmi les victimes lointaines et permet de constituer un énorme capital de commisération occidentale, exploité et entretenu par l’action humanitaire. L’émergence de ce filon est clairement contemporaine de la fin de la guerre froide et il serait bien naïf et peu lucide de n’y voir que l’émergence d’une conscience ou d’une bonté occidentale que l’actualité quotidienne contredit en permanence.

Grâce à l’avalanche de droits abstraits dont les hommes ont hérité à la fin du xxe siècle, l’exercice de réparation, avec ou sans repentance, cette volonté de purifier par un rite de mémoire est spectaculaire autant qu’inopérante car les acteurs des maux passés sont disparus et devenus irresponsables. Cette pratique est symptomatique de l’idéologie occidentale contemporaine qui s’érige en critère universel de moralité, sous prétexte de globalisation.

L’association des droits de l’homme affirmés universels et d’un devoir d’ingérence transformé en droit de s’ingérer constitue le noyau dur, opératoire, de l’idéologie humanitaire occidentale. Elle permet de découvrir, sélectivement, des millions de victimes qui
« attendraient du secours ». La réalité est moins simple. Personne ne refuse ce qu’on lui donne mais personne n’a demandé quoi que ce soit, sauf des chefs d’État ou des maffias locales qui prélèvent 50 % et se servent de l’assistance étrangère dans le cadre de guerres locales.

Humanitaire a dit…

Vous confondez hélas deux choses fort différentes dans votre Blog : nationalité et religion. Israélien est une nationalité, tandis que juif est une religion. la majorité des juifs dans le monde vit en-dehors d'Israël. Ceux qui critiquent Israël ne sont, extrémistes mis à part, en aucun cas antisémites. La preuve : de nombreuses organisations israéliennes critiquent la politique d'Israël, tout comme de nombreux groupes de juifs de la Diaspora. Les rabins de Rabbis for Peace serait-il antisémite ?