lundi 2 février 2009

Fausses notes, par Richard Zrehen

"... l’événement de l’existence politique d’Israël, corps constitué par un vote de l’ONU, excède toujours la capacité d’accueil psychique d’un Occident qui ne s’en remet pas."

"(...) Mais que des occidentaux, reprennent comme fondée cette assimilation Israéliens = Nazis, "Palestiniens" (ici de Gaza) = Juifs (sous le Nazisme) …

Et pas seulement ces nouveaux occidentaux qui jouissent des délices de la décadence et de la démocratie, de l’Etat de droit, de l’exubérance marchande et du "libre commerce des hommes et des femmes", selon l’expression d’Alain Finkielkraut ; délices qui leur permettent de mener sans trop d’inquiétude (du moins les hommes, les femmes, c’est une autre affaire) une vie divergente, soulagée du poids de leurs traditions et communautés s’ils le désirent. Il est vrai qu’ils souffrent aussi de leur condition "objective" de déclassés ou non-classés ; l’une des raisons, peut-on imaginer, pour laquelle ils se choisissent une "cause" d’envergure et consensuelle, estampillée "politiquement (c’est-à-dire moralement) correcte" susceptible de leur donner une petite figure dans le monde – et de manifester de façon perverse la force de leur désir d’intégration.

En défilant "pour l’arrêt des massacres" à Paris, Bruxelles, Milan ou Berlin sous des pancartes au contenu parfois vigoureusement antijuif [1], en redonnant expression à une passion qui s’est donné libre cours il n’y a pas si longtemps que ça sur le Vieux continent, passion structurante de son identité si l’on suit Jean-Claude Milner [2], ne revendiquent-ils pas aussi une part, certes sombre mais attestée, d’un héritage commun ?

Pas seulement ceux-là, à qui l’on pourrait trouver de pathétiques excuses, la première étant la répugnance manifeste d’Autorités – à la dédaigneuse sensibilité néo-colonialiste inversée – à les priver du secours de la loi, c’est-à-dire à les éduquer/sanctionner quand il y a lieu ! Mais aussi, mais surtout des occidentaux installés, officiels ou particuliers, Juifs et non-Juifs pareillement …

*
Dans les congrès de psychanalyse courait, dans les années 1970, l’histoire (dont il n’est pas sûr qu’elle soit drôle) de ces 2 psys, qui se retrouvent dans un ascenseur qui les mène à leur salle de réunion, dans un grand hôtel de New York. En route, monte un passager qui, à la hauteur de l’avant-dernier étage, se tourne vers l’un des 2 psys et lui crache en pleine figure. Le professionnel du psychisme ne bronche pas, s’essuie et, à la question muette de son collègue visiblement étonné de cette placidité, répond : "Ce n’est pas mon problème mais le sien" …

A en juger par le pathos, par l’outrance, la véhémence parfois, de ces "assimilationnistes" d’un nouveau type, par le caractère grossièrement inapproprié avant que d’être injuste de l’assimilation en question – des tunnels à Varsovie ? Des roquettes lancées sur les troupes allemandes ? Des enfants du ghetto soignés dans des hôpitaux allemands ? –, c’est peut-être "leur" problème qui les enflamme, plus que celui qu’ils exposent, entr’aperçu au travers de la répétition, travestie/déniée, d’une bien vieille affaire de vol de légitimité : celle de l’appropriation du nom "Israël" par les premiers chrétiens, s’auto-désignant comme le Verus Israël et prétendant en déposséder les Juifs au motif que "la Prophétie" leur aurait été retirée – la destruction du 2e Temple de Jérusalem aux mains des Romains en faisant "foi" ...

Ce problème s’auto-présente, méconnu, dans cette compassion d’après-coup pour des Juifs exemplaires et morts qui, de leur temps, n’ont pas trouvé grand monde pour s’intéresser à eux : l’insupportabilité du "Juif" indépendant et souverain. L’Etat d’Israël n’est pas un Etat théocratique, la halakha [la loi juive] ne commande que ceux qui veulent bien s’y soumettre, tous les Israéliens ne sont pas des Juifs – on l’a rappelé ! – et cet Etat, qui a un drapeau, des Institutions, une armée, une langue, est bienveillant envers les Juifs… Cela suffit à le rendre odieux.

Odieux aux occidentaux, de longue date ou pas, officiels ou particuliers, Juifs (modernes, c’est-à-dire occidentalisés, ou observants ultra-traditionalistes, anti-sionistes à la Neturei Karta [3]) et non-Juifs pareillement, assez facilement réconciliés avec des Juifs morts. Mais aussi, belle rencontre, odieux aux nationalistes panarabes (c’est-à-dire islamistes, comme le Liban, par exemple, le découvre chaque jour un peu plus), qui acceptent difficilement que la souffrance des Juifs morts dans les camps soit jugée "unique" – ah ! le négationnisme panarabe… –, et souffrent de toutes leurs fibres de voir le "Juif" proche (entendre l’"Israélien", quelque éloigné de la Tradition juive soit-il) refuser, mieux, ignorer résolument son statut de dhimmi – et prospérer !

Assumer la souveraineté est devenu difficile en Occident. En témoignent par exemple, le manque de réaction de la France à l’assassinat (aux mains des services secrets syriens, dit-on) de l’ambassadeur au Liban, Louis Delamarre, en septembre 1981 à Beyrouth, l’opposition de millions d’Américains à l’intervention des Etats-Unis en Irak pour déposer Saddam Hussein, la longue indifférence des Autorités britanniques à l’égard de l’islamisme radical sur leur sol – jusqu’à certain attentat dans le métro de Londres, en juillet 2005… –, la réaction de l’électorat espagnol au lendemain de l’attentat à la gare de Madrid, en novembre 2006, etc.

Et voir un Etat de droit, occidental pour tout dire, assumer sa souveraineté, en la défendant par les armes au besoin, ne peut être qu’accusatoire en un sens pour ceux qui répugnent désormais à y recourir quand la leur est bafouée, oubliant que c’est l’ennemi qui vous choisit et non pas l’inverse – comme faisait remarquer le sulfureux Carl Schmitt ; ne peut que déranger profondément.

On peut conjecturer que c’est pour cela que les Etats-Unis d’avant le président Obama ont vu se coaliser contre eux tous les "réalistes" et autres multi-latéralistes occidentaux, menés par une diplomatie française "inspirée"… Pour cela aussi qu’Israël, bien que s’affirmant avec de plus en plus de réticence ("retenue", en langage diplomatique), à mesure que disparaissent les générations héroïques – qui n’ont pas reçu la souveraineté en héritage, mais ont dû beaucoup lutter et convaincre pour y accéder –, ne peut que rencontrer l’incrédulité, mieux le déni.

Son propos, ses protestations, la reconnaissance de ses erreurs et l’expression de ses scrupules (mais oui !) ne sont pas audibles, quoi qu’il en ait, quoi qu’il tente à grand risque – Oslo 1, Oslo 2, etc. –, et ce n’est pas seulement une question de communication ou de diapason : l’événement de l’existence politique d’Israël, corps constitué par un vote de l’ONU, excède toujours la capacité d’accueil psychique d’un Occident qui ne s’en remet pas. D’un Occident – le droit, les élections, la critique, la liberté de culte, la libre circulation des personnes et des biens, les styles de vie "alternatifs", les dérives individuelles, etc. – ne voulant, en outre, rien savoir de ce qui le menace, lui (l’Iran ? La Russie ? Al Qaïda ?), et qui non seulement espère pouvoir éloigner les périls actuels en se désolidarisant de ce "petit pays de merde", selon l’expression de Daniel Bernard (ancien ambassadeur de France au Royaume-Uni [4]), mais surtout, obscurément gêné de ce passé coupable [5] qui lui colle à la conscience, tâche de l’exorciser en le projetant avec une énergie, qui doit plus à l’irritation qu’à l’indignation exprimée, sur les "descendants des singes et des porcs" - pour boucher à tout prix ce grand trou dans "son" Réel …

"Colonialiste" et/ou "nazi" et/ou "peuple maudit", Israël sera donc toujours coupable d’origine, d’exister politiquement. Qui peut imaginer que cela relève de la discussion rationnelle ? Que des arguments vont démonter cette figure désirante dont se soutiennent non les critiques mais les accusateurs ?

Notes:

[1] Antijuif et non pas "antisémite", terme daté et prêtant à confusions intéressées, comme l’explique très bien Pierre-André Taguieff dans La judéophobie des Modernes : des Lumières au Jihad mondial, Paris, 2008, Odile Jacob.
[2] Cf. J.-C. Milner, Les penchants criminels de l'Europe démocratique, Verdier, 2003.
[3] Voir, dans le blog de l'auteur,
"A propos du Shas 1", mis en ligne le 26 octobre 2008.
[4] "A la fin d’une soirée privée, donnée en décembre 2001 par Lord Black, en l’honneur du rédacteur en chef du Spectator, M. Bernard, ami du maître de maison, aurait parlé de "‘That shitty little country Israel…", dans un échange qu’il pensait 'privé'. Lord Black, alors propriétaire du Daily Telegraph l’aurait rapporté à son épouse, la journaliste Barbara Amiel, qui en a fait état dans sa tribune du Daily Telegraph, le 19 décembre 2001…. Après coup, au nom de l’ambassade de France, M. Yves Charpentier a déclaré: "L’ambassadeur ne se souvient pas d’avoir utilisé ces mots."", Andrew Pierce, "French ambassador blurts out: "That shitty little country Israel ..."", The Times, 19 décembre 2001.
[5] Des Etats-Unis, qui n’ont voulu ni augmenter les quotas d’immigration ni bombarder les lignes de chemins de fer conduisant aux camps d’extermination, de peur d’être accusés de faire la guerre "pour le compte des Juifs", à la France zélée et inventive, qui a ajouté de son propre chef les enfants à la liste des adultes Juifs que l’Occupant leur avait demandé de rafler, en passant, entre autres, par le Royaume-Uni, qui a interdit l’entrée de la Palestine aux Juifs essayant d’échapper à l’Allemagne…"

Texte repris du blog de l'auteur
Fausses notes, © copyright 2009, Richard Zrehen

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