Albert Memmi: "Une pléiade de grands philosophes juifs contemporains, et pourtant les juifs n'avaient ni Etat ni pouvoir politique"
Albert Memmi, écrivain et essayiste:
"Chaque fois que vous parlez avec un intellectuel arabe, il vous cite Averroès, qui est du XIIe siècle! (...)
L'absence d'esprit critique est-elle vraiment inhérente à l'islam?
A ce qu'il est devenu, oui, franchement, je le crains. Ainsi, les penseurs juifs ont connu le même obstacle. Seuls ceux qui ont osé contourner la tradition religieuse sont devenus grands; Spinoza et Freud furent des juifs laïques. Bien entendu, pour cela, ils furent soupçonnés et rejetés par leur communauté. Levinas, au contraire, qui ne s'est pas débarrassé des entraves de la tradition, fait toujours partie de l'héritage religieux juif. C'est cette liberté qui a permis l'émergence d'une pléiade de grands philosophes juifs contemporains, et pourtant les juifs n'avaient ni Etat ni pouvoir politique tandis que les Arabes disposaient des deux. Il est évident qu'il n'y a pas une pléiade de grands philosophes arabo-musulmans contemporains. Et cela, parce qu'ils se refusent à toucher à une virgule des textes sacrés. Je récuse, pour ma part, la notion de texte intangible! Cela n'existe pas. Les textes sont faits pour que nous les repensions constamment. Au cours de l'Histoire, nous ajoutons, nous retranchons, nous choisissons. La pensée libre se nourrit de cela.
L'islam a pourtant connu une vie intellectuelle très riche. Il est vrai que c'était au Moyen Age... Que s'est-il donc passé ensuite?
Sur ce sujet, on devient rapidement suspect. Mais j'en prends le risque. Au fil des recherches, il m'est apparu que ce que l'on appelle la civilisation et les inventions arabes sont en fait le fruit d'une expansion militaire. Quand les nomades arabes - qui n'étaient ni pires ni meilleurs que les autres vagues de peuplement et qui, en tout cas, n'étaient pas nécessairement parmi les plus cultivés - sont arrivés en Perse, ils ont emprunté les savoirs qui y existaient. C'est vrai de l'enluminure, de l'art de la faïence ou du café. On verse au compte de la civilisation arabe ce qui fut en réalité une symbiose réussie entre conquérants et conquis. Cette donnée explique en partie pourquoi cette culture a culminé en un «âge d'or» mais n'a pas pu durer. Toujours est-il que ce passé, aussi bref que lointain, est devenu une dangereuse utopie. Puisqu'il y a eu deux sociétés mythiques, l'Andalousie et Bagdad, dans lesquelles tout est, rétrospectivement, supposé parfait, il suffit de s'en réclamer. Mais comme on ne peut pas faire resurgir le passé d'un coup de baguette magique, où retrouver ces sociétés parfaites? Dans le Coran, évidemment."
Lire l'interview complète par Christian Makarian (2004) @ L'Express,
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