mercredi 2 mai 2018

Peut-on être jeune, juif et aimer la France?


Editorial d'Alexander Aciman (Can a Jew Love France?) paru dans le New York Times le 16 janvier 2018.  C'est intéressant qu'un grand media, de gauche, américain ait donné la parole à un écrivain et essayiste jeune, Alexander Aciman, 27 ans, car en général ce sont presque exclusivement des personnes - toujours les mêmes - beaucoup plus âgées, voire très âgées, qui s'expriment sur l'antisémitisme en Europe.  Aciman nous apprend que déjà son grand-père, qui aimait tant la France fut amené, dans les années 60, à s'installer aux Etats-Unis car la situation en France l'inquiétait.  Alexander Aciman est le fils de l'écrivain André Aciman.

Traduit et adapté par Victor Kuperminc pour Tribune Juive:
"[...] Mais les choses ne sont pas idéales aujourd’hui, en France. Le pays lutte pour maintenir et protéger son importante population juive, la troisième dans le monde. Le chiffre a diminué notamment à cause de la vague d’antisémitisme qui a submergé le pays durant la dernière décennie. En 2015, – l’année de l’attaque contre Charlie Hebdo – 8000 juifs sont partis en Israël.

Mon grand-père s’est installé à Paris dans les années 1960, mais s’est senti mal à l’aise dans le pays qui avait du mal à se remettre de la guerre, de ses rafles et des déportations. Cela lui brisa le cœur, il sentait bien que Paris était sa vraie patrie.

La France avait manqué à la parole donnée par l’Alliance Israélite Universelle. Sa finalité, c’était de sortir les Juifs de l’obscurantisme de leur milieu, et de leur fournir les outils qui les mèneraient vers une vie meilleure en Europe. C’était la promesse d’un pays qui tirait sa fierté d’être plus civilisé que ceux qui voulaient chasser leur population juive.

Les Juifs francophones se sont réjouis l’année dernière, lorsque le parti d’Emmanuel Macron – La république en marche -, a battu le menaçant Front National, le parti antisémite d’extrême droite. Mais, cette supposée nouvelle France n’a rien fait pour résoudre le problème juif. Chaque année en France, des vitrines juives sont vandalisées, et des supermarchés kasher incendiés.

Ce sentiment général d’insécurité n’est pas sans rappeler celui d’il y a plus de cent ans, pendant l’Affaire Dreyfus, lorsqu’il devint évident que la vie juive en France était devenue insupportable. Pour beaucoup, la situation d’aujourd’hui est comparable. L’antisémitisme, apparemment, est un cercle sans fin. 
Et malgré tout, je ne peux me résoudre à renoncer à la France; comme si, après plus d’un siècle d’amour de ce pays, cet amour lui-même était devenu une partie de mon génome. Les effets de l’Alliance continuent d’exister en moi.

J’admets qu’il est aussi ridicule d’affirmer que je ne suis pas français que de prétendre que je le suis. Je connais toutes les stations de correspondance du métro parisien. Comme mon père, j’ai étudié la littérature française à l’université. Mes jours favoris à New-York sont ceux où il pleut, parce que cela me rappelle Paris.

Je ne puis me résoudre à l’idée que l’endroit auquel j’appartiens n’ait rien à voir avec moi. J’ai du mal à accepter la terrible vérité, partagée avec mes amis juifs de France; celle de la rumeur de désastre des années 1900 et 1930. Je me dis que, dans 30 ans, je serai de retour à la maison, et je vois mes enfants, assis et causant à la terrasse d’un café; alors que j’ai peur qu’il n’y ait plus de juifs du tout en France.

Comme mon grand-père, bien que je me sente bien français, et bien que je veuille que mes enfants grandissent dans une atmosphère francophone, cette France rêvée par ma famille n’existe plus. Et, peut-être n’a-t-elle jamais existé."
Lire l'article complet @ Tribune Juive et l'original en anglais @ The New York Times

Lire également:
Interview: Alexander Aciman sur son livre «La twittérature», coécrit avec Emmett Rensin.

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