lundi 29 janvier 2018

Hannah Arendt: Céline "allait droit au but et réclamait le massacre de tous les Juifs"

"Il allait droit au but et réclamait le massacre de tous les Juifs. (...)  les nazis, eux, le considérèrent toujours comme le seul véritable antisémite français." 

Hannah Arendt (1906-1975), philosophe allemande: 
Céline
"(...) la France avait produit un antisémite exceptionnel, qui avait compris toute la puissance et toutes les possibilités de la nouvelle arme. Cet homme était un romancier de valeur: en France, en effet, l’antisémitisme n'était pas socialement et intellectuellement discrédité comme dans les autres pays d’Europe.

La thèse de Louis-Ferdinand Céline était simple, ingénieuse, et elle avait juste ce qu’il fallait d’imagination idéologique pour compléter l’antisémitisme rationaliste des Français. Selon Céline, les Juifs avaient empêché l’unité politique de l’Europe, provoqué toutes les guerres européennes depuis 843 et tramé la ruine de la France et de l’Allemagne en suscitant leur hostilité mutuelle. Céline avança cette abracadabrante explication de l’histoire dans L’École des cadavres, ouvrage écrit au temps de Munich, et publié en 1938. Un pamphlet publié précédemment sur le même sujet, Bagatelles pour un massacre (1937) ne donnait pas encore cette nouvelle clé de l’histoire européenne, mais était déjà remarquablement moderne. Céline n’établissait pas de distinctions entre Juifs nationaux et étrangers, entre bons et mauvais Juifs; il ne proposait pas des lois compliquées (l’une des caractéristiques de l’antisémitisme français): il allait droit au but et réclamait le massacre de tous les Juifs.

Le premier livre de Céline fut reçu avec faveur par de nombreux intellectuels français, d'une part assez satisfaits de cette attaque contre les Juifs, et à demi convaincus que ce n’était qu’une nouvelle attitude littéraire (1). Pour les mêmes raisons, les fascistes français ne prirent pas Céline au sérieux. Mais les nazis, eux, le considérèrent toujours comme le seul véritable antisémite français."

[1] Voir en particulier une recension de la Nouvelle revue française, par Marcel Arland (février 1938), qui trouve "la position essentielle de Céline [...] solide". André Gide ("Les Juifs, Céline et Maritain", avril 1938) pense que Céline, en décrivant seulement la "spécialité" juive, est parvenu à peindre non pas la "réalité" mais "l'hallucination que la réalité provoque".
Sur l'antisémitisme (1951), Seuil-Points, pp. 115-116.

1 commentaire :

André a dit…

Ne pas oublier qu'après la guerre, Arendt va charger la France concernant les origines de l'antisémitisme pour mieux disculper l'Allemagne dont elle ira jusqu'à dire que ses intellectuels n'ont eu quasiment aucune influence sure le nazisme, à commencer par Heidegger...