François Regnault, philosophe:
"Et maintenant je dirai que le nom de Juif, je l’ai connu par celui de Marguerite Aron, le professeur de lettres de ma mère au lycée Victor Duruy, convertie au catholicisme en 1914, tertiaire dominicaine, et qui avait fondé un groupe destiné à initier quelques-unes de ces jeunes lycéennes volontaires à la spiritualité chrétienne, ainsi d’ailleurs qu’à Claudel (dont je n’ai ainsi jamais eu à faire la découverte); elle s’était retirée à Solesmes, n’avait jamais cédé sur le nom de juive. Elle traita à La Flèche en 1939 du "problème juif devant la conscience catholique". Elle songeait bien sûr à leur "conversion". Elle ne porta pas l’étoile, prétendant qu’en femme élégante, elle ne pouvait passer son temps à la coudre et à la découdre.
Elle fut arrêtée par les Allemands à Solesmes, à la sortie de la messe du matin à l’abbaye, le 26 janvier 1944, à l’âge de soixante et onze ans. Elle protesta. "Nous prenons jusqu’à quatre-vingts ans", lui dirent les hommes de la Gestapo. Le convoi qui quitta Drancy le 10 février comprenait quinze cents personnes, dont 279 jeunes de moins de dix-neuf ans. Il parvint à Auschwitz trois jours plus tard. Marguerite Aron, inapte au travail, fut très vite gazée. Je sais que je lui avais rendu visite en 1942, accompagné de mes parents ; je m’y revois, mais c’est un souvenir improbable. J’admettrais même que cette évocation soit la rationalisation tardive de ma première rencontre avec le nom de Juif. Pour moi, donc, cette rencontre porte aujourd’hui son nom. Reste que cela m’aura suffi."Notre objet a, Editions Verdier, 2003. (extrait)
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