Des jeunes français font l'apologiedu massacre antijuif d''Hyper Cacher |
Est-il sensé qu’une communauté qui, dans ce siècle, a perdu quelque 10 personnes au djihad en France, de plier bagage et s’installer en Israël, où les djihadistes ont fait plus de 1 000 victimes juives? Les dirigeants de la Ve République n’ont-ils pas démontré en paroles et en actes qu’ils s’engagent à la protection des vies et des biens juifs?
La réponse à cette question est oui. Le problème n’est pas la Ve République, dans laquelle les Juifs français ont, dans l’ensemble, prospéré. Le problème, est l’arrivée, tôt ou tard, de la VIe. C’est pourquoi les Juifs français doivent partir plus tôt que tard, malgré les perturbations et les risques, tant que les portes de sortie ne sont pas obstruées et que la voie reste libre.
Peut-être par inadvertance, le Premier ministre français Manuel Valls l’a le mieux exprimé la semaine dernière quand il a affirmé devant son Parlement que «L’Histoire nous l’a montré, le réveil de l’antisémitisme, c’est le symptôme d’une crise de la démocratie, d’une crise de la République». Très vrai, mais si l’antisémitisme est le symptôme de la crise, la présence de gendarmes dans les écoles, les synagogues, les épiceries et les quartiers juifs n’est pas sa cure. Cet impératif dénote une carence. [...]
Par-dessus tout, la crise est cumulative. Des pays de même taille comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont connu des hauts et des bas au cours des dernières décennies, des périodes de croissance ou de récession, des sentiments de confiance ou de malaise. Mais le déclin français est constant, non soigné, rempli d’amertume. «Dans l’un de mes séminaires de finance, tous mes étudiants français projetaient de partir à l’étranger», a déclaré le professeur d’économie de la Sorbonne, Pr Jacques Régniez, au Daily Telegraph en 2013. Les Juifs ne sont pas les seuls à vouloir partir.
Mais eux doivent le faire plus que les autres. Parce qu’ils sont menacés de trop nombreux côtés. Selon le best-seller français, «Le Suicide Français», du journaliste Éric Zemmour, le régime collaborationniste de Vichy a mauvaise réputation. Le comédien le plus célèbre de France, Dieudonné, a utilisé Facebook après la marche de solidarité du 11 janvier pour dire «Je me sens Charlie Coulibaly», alliance de «Je Suis Charlie» et d’Amedy Coulibaly, le tueur du supermarché casher. Le Parlement français a réagi à la guerre de cet été du Hamas contre Israël en votant le mois dernier la reconnaissance, quoique symbolique, d’un Etat palestinien.
«L’antisémitisme émerge toujours dans une conversation informelle, ce qui serait rare en Angleterre ou en Amérique», observe Jonathan Fenby dans l’édition mise à jour de son livre de 1999, «France on the Brink» (La France au bord du gouffre). M. Fenby apporte un exemple particulièrement notable. «En 2013, un comédien a présenté un acteur juif lors d’une émission de télévision populaire en disant : ‘Vous n’avez jamais plongé dans le communautarisme [juif]… Vous auriez pu vous poster dans la rue et vendre des jeans et des diamants à l’arrière d’une fourgonnette en disant: Israël a toujours raison, au diable les Palestiniens. Vous montrerez alors qu’il est possible d’être de foi juive sans être complètement dégoûtant.» C’était censé être un compliment.
Tout cela se passe alors que la Ve République reste pratiquement intacte. Quelques comparaisons ont été faites entre les attaques de ce mois-ci à Paris et les attentats du 11/9, mais c’est une énorme exagération. La Tour Eiffel n’est pas tombée. Dix-sept morts ne sont pas 3 000.
Mais qu’arrive-t-il quand la crise réelle frappe – pas nécessairement sous la forme d’un attentat sur une cible juive faisant grand nombre de victimes, mais peut-être d’une élection qui porterait Mme Le Pen au pouvoir, ou d’une crise bancaire systémique qui mettrait au jour un grand malfrat juif, ou encore d’une crise économique qui inspirerait une politique fiscale plus confiscatoire? L’Histoire française est un conte de stagnation perforée par des crises: 1789, 1830, 1848, 1871, 1940, 1958, 1968. Une autre crise est en marche.
Ce qu’une telle crise peut entraîner dans son sillage est une énigme, et il vaut mieux que les Juifs français ne restent pas dans les parages pour la découvrir. Au 20e siècle, le destin juif a été divisé entre ceux qui sont partis à temps et les autres. Aucune raison ne prouve qu’il en sera autrement dans ce siècle.
Il est vrai que les Israéliens courent de plus grands risques personnels que les Juifs français. Là encore, les Israéliens ne doivent pas dépendre de la rectitude des dirigeants au pouvoir (tant qu’ils restent au pouvoir) pour garantir que leurs enfants rentrent en toute sécurité à la maison de l’école. Il est également vrai que quitter la France est une sorte de victoire pour les antisémites français. Mais vivre est plus important que de fermer le clapet des intolérants.
Mettez de l’ordre vos affaires, faites vos bagages, quittez la maison, rentrez à la maison.
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