L'Europe est devenue un continent qui hurle avec les loups sur la question d'Israël. Pendant des décennies, les sociétés européennes ont exclu, discriminé et traqué les citoyens juifs. Le fait que l'Europe participe aujourd’hui à l’exclusion de l’État juif sur la scène internationale n'en est donc que plus ignoble. (Clemens Wergin)
Source : Tribune de Genève / Die Welt (Europa heult mit den antiisraelischen Wölfen) (via CICAD)
"Dans les années 80, Bob Dylan a sorti sa chanson «Neighborhood Bully» en soutien à Israël, le «trouble-fête» mal aimé de la politique internationale. Un pays qui est constamment la cible de vives critiques et doit assurer sa survie seul, «car il n'a pas vraiment d’alliés», comme le chantait le musicien américain.
Les choses n'ont pas beaucoup changé depuis. Israël est toujours considéré comme un trouble-fête que beaucoup stigmatisent. Dernièrement, le pays s'est notamment retrouvé dans le collimateur de la Cour de justice de l'Union européenne. L'institution européenne a décidé d'imposer à Israël un traitement ne s'appliquant à aucun autre État. À l'avenir, tous les pays de l'Union européenne devront apposer la mention de leur territoire d’origine sur les denrées alimentaires israéliennes en provenance du plateau du Golan et de Cisjordanie et les étiqueter comme étant des produits issus des colonies israéliennes. Le tribunal a rendu un jugement rejoignant la position de la Commission européenne, qui avait déjà présenté une ligne directrice allant dans ce sens en 2015.
Le fait que leur continent, qui connaît actuellement une recrudescence de l'antisémitisme, traite l'État juif comme un cas particulier ne semble poser aucun problème aux Européens.
Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Pour répondre à cette question, il faut se replonger dans les profondeurs de l'histoire de la politique étrangère européenne.
Lorsque les Communautés européennes ont été fondées en 1957, il n'était pas question de politique étrangère, un élément de souveraineté jalousement gardé par les différents États membres. C'est au début des années 70 qu'ont eu lieu les premières timides tentatives d'harmonisation des positions en matière de politique étrangère. Mais c'est du ProcheOrient qu'est venue l'impulsion finale. Dans le cadre de la guerre du Kippour, en 1973 les pays arabes environnants ont organisé une attaque surprise mais Israël a réussi à gagner ce confit. Les Etats arabes producteurs de pétrole ont alors, organisé un boycott pétrolier contre les pays occidentaux pour les punir du soutien apporté à Israël. Mis sous pression, les Européens se sont empressés de trouver une position vis-à-vis du conflit israélo-palestinien qui soit en mesure de rassurer les Arabes. Ce moment a été déterminant pour la création d'une politique étrangère européenne commune.
Mais d'un côté, il y avait les Allemands, qui affichaient une position plutôt pro-israélienne du fait de l’Holocauste, et de l'autre, les Français, qui avaient basculé dans le camp pro-arabe en 1967. C'est la genèse de cette position qui explique l'obsession des Européens pour le conflit israélo-palestinien. Parce que la zone est restée pendant plusieurs décennies la seule région du monde vis-à-vis de laquelle la Communauté européenne et ensuite l'UE disposaient d'une politique étrangère commune grâce à laquelle l'Europe a entrepris ses premières tentatives de rupture avec les États-Unis. Parce qu'ils soupçonnaient Washington d'afficher une attitude trop pro-israélienne, les Européens ont développé une position se voulant de plus en plus hostile à Israël - et de plus en plus fossilisée - au fil des années.
Les formules creuses utilisées par l'Europe pour parler du conflit au Proche-Orient n'ont pas changé depuis des décennies. Et ils ne comptent pas les abandonner aussi facilement, même si la situation sur place a aujourd'hui bien changé et que le conflit israélo-palestinien n'est plus le principal problème de la région depuis longtemps, comme aiment encore à le prétendre beaucoup d'Européens.
Si l'on se penche sur la longue histoire de la politique européenne au Proche-Orient, on se rend compte qu'Israël est devenu la victime de la recherche identitaire de l'Europe en matière de politique étrangère. Comme le montre l'obligation d'étiquetage des produits en provenance des territoires occupés, l'UE pratique une politique du deux poids, deux mesures à l'encontre d'Israël, une politique qui ne s'applique à aucun autre pays connaissant une situation similaire.
Il n'est donc pas étonnant que même au sein de l'ONU, les pays européens participent activement à la diabolisation de l'État juif. Ce qui, ces derniers jours, n'a pas empêché l'ambassadeur allemand des Nations Unies et ses collègues européens d'approuver - à sept reprises - les habituelles résolutions anti-israéliennes déposées par les États arabes et anti-occidentaux lors de l'Assemblée générale. Aucune de ces résolutions, ne fait mention de la pluie de missiles en provenance de Gaza qui s'abat actuellement sur Israël. Oui, il existe un antisémitisme dirigé contre Israël, on le reconnaît communément à ces trois D : diabolisation, délégitimation et deux poids, deux mesures à l'égard d'Israël. Au moins deux de ces critères s'appliquent à l'UE et à bon nombre de ses États membres: L'Europe est devenue un continent qui hurle avec les loups sur la question d'Israël. Pendant des décennies, les sociétés européennes ont exclu, discriminé et traqué les citoyens juifs. Le fait que l'Europe participe aujourd’hui à l’exclusion de l’État juif sur la scène internationale n'en est donc que plus ignoble."
Source : Tribune de Genève / Die Welt, 25 novembre 2019
Lire également: 1973: le retournement de l'Europe sous la pression des pays arabes producteurs de pétrole
"En définitive, cette crise a amené les Européens à franchir un pas, celui de la reconnaissance des droits des Palestiniens.
"A la fin de 1973 - témoigne Henri Simonet [(1931-1996), ministre des Affaires étrangères belge, Vice-President de la Commission européenne]- j'avais été le témoin humilié du retournement des ministres des Affaires étrangères de la Communauté qui, dans la panique provoquée par la menace de l'embargo pétrolier, s'étaient rués dans une attitude qui leur était pratiquement imposée par les pays arabes producteurs de pétrole et qui comportait, notamment, la reconnaissance des droits du peuple palestinien".[1]
Et d'ajouter: "J'avais ressenti le comportement dont la Communauté avait fait preuve en 1973, à l'exception des Pays-Bas, comme médiocre et même assez veule"."
[1] Henri Simonet, Je n'efface rien et je recommence, Dider Hatier, Paris, 1986 (p. 160)
Source: Romain Yakemtchouk, La politique étrangère de l'Union européenne, Paris, L'Harmattan, 2005 (p. 217)
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