lundi 11 mars 2019

Pendant la Shoah les Juifs "ne défendent que leur existence physique ou leurs positions acquises, leur pouvoir, leur richesse" (Albert Béguin, 1943)


"En 1943, Albert Béguin, [directeur de la revue Esprit de 1950 à 1957] écrit un livre sur Léon Bloy qui est publié l'année suivante, au moment où la guerre n'est pas encore terminée. On est décidemment prolixe, en France, à cette période, pour ce qui touche à l'Ancien Testament, mais lu uniquement dans la perspective du Nouveau et selon l'optique qu'il fait valoir.  Comme si la guerre venait légitimer en quelque manière les interprétations les plus radicales - en l'occurrence les plus contestables -, en jetant le discrédit complet sur les Écritures juives, en s'en débarrassant sur un mode bien connu, puisque pratiqué de très longue date.  Dans ce texte qui commente abondamment Le Salut par les Juifs de Léon Bloy, on peut lire notamment des énoncés comme celui-ci:
Dans un monde qui a perdu la faculté d'entendre autre chose que les explications les plus matérielles, d'obéir à d'autres commandements que ceux de l'instinct brutal, les ennemis d'Israël poursuivent en lui un corps étranger qui les gênent dans leurs appétits, un concurrent de leurs avidités.  Mais ce qui est pire, sans doute, c'est que les victimes, oublieuses de leur grand destin et des Promesses faites pour le jour de leur "plénitude", ne défendent plus rien que leur existence physique ou leurs positions acquises, leur pouvoir, leur richesse.
Il est question également dans ce livre de "l'ignominie à laquelle le Peuple juif est descendu au cours des siècles modernes".  Bon nombre d'énoncés vont dans le même sens, notamment ceux qui évoquent l'extrême "abjection" des Juifs; les qualificatifs du même ordre ne manquent pas ici, comme s'ils n'étaient jamais assez forts pour stigmatiser et dénoncer ce qu'est, aux yeux de l'auteur, le principe du mal, un mal qui n'aurait fait qu'empirer avec le temps et auquel les circonstances donnent son véritable visage. [...]
[…] le fait que les "victimes" - entendons les Juifs européens dans la situation de 1943 - n'ont qu'une seule préoccupation, vouloir survivre à ce qui leur arrive, en oubliant leur être propre, en déniant ce qui est censé les constituer depuis toujours, une préoccupation présentée par cet auteur comme étant éminemment condamnable."

Jean-Michel Rey, Le Suicide de l'Allemagne, Sur le Moïse de Thomas Mann, Desclée de Brouwer, 2018, p.p. 209-211.

Georges Bensoussan écrit dans L'histoire confisquée de la destruction des Juifs d'Europe: Usages d'une tragédie:
"Albert Béguin qui notait dans la revue Esprit en 1946: 'Jamais l'histoire n'avait autant ressemblé à l'Ancien Testament'"

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