Marcel Gauchet, philosophe et historien (extraits):
"Par rapport à l’antisémitisme, ce que les nazis reprochaient aux Juifs, c’était d’être un peuple apatride, vivant en parasites aux dépens des autres patries. Aujourd’hui, il y a un Etat juif, en conséquence de quoi certains reprochent son existence… Il y a donc à la fois disparition de l’antisémitisme traditionnel dont l’antisémitisme racial de l’hitlérisme a été une sorte de pointe extrême, et à la fois réapparition sous un jour complètement différent d’un antisémitisme qui n’a plus rien de racial, qui n’est plus «spirituel», mais qui a trouvé une nouvelle cible. Il vient se greffer à l’existence d’Israël et aux problèmes afférant à un Etat menacé, pour en quelque sorte redonner vigueur au mythe du «complot juif», du projet de domination du monde – mais il ne se dit plus comme tel, parce qu’il n’est tout simplement plus plausible: il est très difficile de penser que le tout petit Etat d’Israël a un projet de domination mondial. […]
En 2015, l’expérience nazie, hante-t-elle toujours les consciences? Ou, 70 ans plus tard, est-ce devenu un «simple» objet d’étude historique?
Bizarrement, l’éloignement, la transformation complète des sociétés européennes depuis la fin de la guerre, ont amplifié le «repoussoir nazi». Plus le temps passe et plus tout cela devient incompréhensible. Ne fût-ce que parce qu’Hitler n’a plus aucun homologue: à une époque, on pouvait encore discuter du fait de savoir si Staline, Franco ou Salazar étaient plus ou moins de la même famille… Il y avait une sorte de «logique générale» compréhensible pour ce type de régimes. Aujourd’hui, plus rien ne peut servir de repère. Ce projet à la fois antisémite et impérial qu’était le nazisme n’a plus le moindre sens dans le monde où nous sommes et de ce fait, son inintelligibilité nous le rend encore plus présent. Il y a là, pour les Européens, quelque chose qui n’est pas métabolisé. Le vrai traumatisme historique, c’est celui qu’on ne comprend pas. Ce qu’on maîtrise, on a la possibilité de le dépasser, de l’oublier, de tourner la page. Quand on a affaire à quelque chose comme le nazisme, on ne peut pas s’en débarrasser car plus le temps passe, plus il vous hante par sa monstruosité par rapport au présent. Donc, je crois que nous n’en avons pas fini avec Hitler."Lire l'article complet @ Le Soir
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