Pierre-André Taguieff*, philosophe et historien des idées:
Début février 2019, on pouvait lire cette inscription sur la façade d’une banque parisienne aux vitres brisées au cours d’une manifestation des «gilets jaunes» : «Talmudistes, rendez-nous nos euros!». Ce graffiti condense deux stéréotypes antijuifs bien connu : celui du «Juif talmudiste» et celui du «Juif usurier». Les Juifs sont ainsi accusés, d’une part, de suivre les préceptes «secrets» du Talmud afin de dominer le monde, et, d’autre part, d’être des spéculateurs et des spoliateurs. Dans le code culturel du vieil antisémitisme, cela donnait la figure du Juif «parasite social» et celle du Juif «prédateur». Ces thèmes d’accusation sont aujourd’hui largement diffusés sur Internet par des sites spécialisés, comme celui d’Alain Soral, et circulent sur les réseaux sociaux. […]
Dans l’enquête réalisée par l’Ifop en septembre 2014, 16% des répondants se rangeaient à la thèse de Dieudonné sur l’existence d’un «complot sioniste à l’échelle mondiale», ce qui constitue le noyau dur de la mythologie «antisioniste». Dans l’enquête de décembre 2018, ils sont 22% à approuver ladite thèse, mais 44% chez les « gilets jaunes », ce qui est très inquiétant, mais pas totalement surprenant.
Il faut souligner enfin le fait que, dans les marges de la mobilisation des «gilets jaunes», on trouve des traces de judéophobie et non pas de racisme en général, visant les Noirs ou les Maghrébins, par exemple, ou globalement les immigrés d’origine extra-européenne. Le thème d’un « complot islamiste mondial » n’est pas non plus repérable. Indice que, dans l’imaginaire des manifestants, l’ennemi principal est bien le pouvoir incarné par Emmanuel Macron, dont l’apparence comme la personnalité supposée sont devenues objets d’une haine «dégagiste» («Macron démission!»). C’est là une question sur laquelle il faudra revenir.Lire l'analyse complète de "la récente enquête de l'ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch sur le rapport des "gilets jaunes" aux théories du complot" @ Revue des Deux Mondes.
* Pierre-André Taguieff est directeur de recherche au CNRS. Sur les théories du complot, il a récemment publié Pensée conspirationniste et «théories du complot». Une introduction critique, Toulouse, Uppr Éditions, e-book, 2015 (éd. papier, 2016). Sur le populisme, il a récemment publié La Revanche du nationalisme. Néopopulistes et xénophobes à l’assaut de l’Europe, Paris, PUF, 2015. Enfin, sur la judéophobie, son plus récent ouvrage s’intitule Judéophobie, la dernière vague, Paris, Fayard, 2018.
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