mercredi 21 novembre 2018

"La mémoire juive avait enregistré l'oppression comme moment d'un cycle immense, depuis des siècles"



Alain Boureau, historien médiéviste français, directeur d'études à l'EHESS. :
"Mais après la "nuit de cristal" de novembre 1938, qui inaugura la phase ultime de la persécution des Juifs allemands, Kantorowicz se résolut à quitter le pays, grâce à l'appui de ses amis le comte Bernstoff et Helmut Kupper […]

La date tardive de cet exil peut surprendre: chaque mois qui passait augmentait les risques courus par un Juif allemand. Pourtant, le cas de Kantorowicz n'est pas isolé, loin de là. A propos du serment de Berkeley, il évoquera l'aspect graduel de l'emprise dictatoriale du nazisme. Chaque étape dans l'oppression pouvait passer pour l'ultime. Seule une reconstruction du passé en saisit la dynamique inexorable, la finalité dernière. L'expérience vécue louvoie, l'histoire tranche. L'extermination nazie a un caractère irréductible; la mémoire juive avait enregistré l'oppression comme moment d'un cycle immense, depuis des siècles. Or les crises, dans ce cycle, jusqu'à la République de Weimar, se faisaient peu à peu moins aiguës. L'avènement du nazisme pouvait apparaître comme une brève anomalie dans l'accomplissement lent de l'intégration juive, bien avancée en Allemagne."
Alain Boureau, Histoires d’un historien. Kantorowicz, Paris, Gallimard, 1990, p.p. 125-126.

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