mercredi 3 juillet 2013

La psychologie des Juifs qui adoptent la posture de leurs ennemis

Alfred Dreyfus
Il nous semble utile de citer ces mots de Hannah Arendt: "Le procès du malheureux capitaine Dreyfus avait montré au monde que dans tout Juif, même noble et multimillionaire, il subsistait encore quelque chose du paria d'antan, sans patrie, pour qui les droits de l'homme n'existent pas, et à qui la société refuse volontiers ses bienfaits.  Personne n'eut plus de mal à comprendre cet état de choses que les Juifs émancipés".  Et elle cite Bernard Lazare: " [...] si, on en a trouvé en France environ trois douzaines pour défendre un de leurs frères martyrs [Dreyfus], on en eut trouvé des milliers pour monter la garde autour de l'île du Diable, avec les plus dévoués champions de la patrie". [1]  Il est évident que, encore aujourd'hui, un nombre important de Juifs croient que le rejet dont ils sont l'objet en Europe est dû à quelques malheureuses circonstances et que tout finira par s'arranger.

Manfred Gerstenfeld interviewe Kenneth Levin (LPH, 29/02/2012)

"Un certain nombre de Juifs et d’Israéliens adoptent les critiques venant des cercles antisémites et des extrémistes anti-israéliens. Ils ont eu beaucoup de précurseurs au cours de la longue histoire de la Diaspora juive.

"Ce phénomène révèle de grandes similarités, au niveau de la psychologie humaine, avec les réponses des enfants victimes d’abus chroniques. Ces enfants ont tendance à s’accuser d’être la cause de leurs souffrances. Dans leur condition dénuée de tout recours, il leur reste deux alternatives: soit, ils parviennent à reconnaître qu’ils sont traités en victimes expiatoires de façon inique et pourront se réconcilier avec eux-mêmes, malgré le fait de se voir réduits à l’impuissance, soit il leur reste à s’accuser d’être à l’origine de leur situation difficile. L’attrait de cette dernière proposition – "Je souffre parce que je suis foncièrement mauvais" – provient du fait qu’elle comble le désir de reprendre du contrôle, et répond au fantasme qu’en devenant 'bon', ils finiront par arracher des représailles moins violentes de la part de leurs tourmenteurs. Aussi bien les enfants que les adultes cherchent invariablement à éviter de rester sans le moindre espoir."

Kenneth Levin est psychiatre, historien et auteur de plusieurs livres, parmi lesquels: The Oslo Syndrome: Delusions of a People under Siege. 1. [Le Syndrome d’Oslo : les Désilusions d’un peuple assiégé]. Il est formateur clinicien en psychiatrie à l’Institut Médical d’Harvard.

Dans le Syndrome d’Oslo, Levin explique l’attitude des Israéliens qui sont atteints de haine d’eux-mêmes: [Il y a] "une volonté de croire qu’Israël a le contrôle de circonstances particulièrement stressantes sur lesquelles, malheureusement, il n’y a pas de contrôle réel. Une paix authentique n’adviendra au Moyen-Orient que lorsque le monde arabe, qui est, de loin, le parti dominant dans cette région, finira par percevoir une telle paix comme étant dans son propre intérêt. Les politiques israéliennes ont, en fait, très peu d’impact sur les perceptions arabes, de ce point de vue, bien moins, en tout état de cause, que les dynamiques des politiques intérieures au sein des Etats Arabes et que les rivalités interarabes".

Levin ajoute, à présent: "La vulgarisation de la haine contre Israël, qui est ventilée par les gouvernements arabes, les systèmes éducatifs, les media et les prédicateurs musulmans, est profondément ancrée dans l’opinion arabe. Ce n’est pas un phénomène totalement isolé, mais il se coule dans un cadre bien plus vaste. Depuis les tous premiers jours de l’édification du monde arabo-musulman, il y a toujours eu une animosité très répandue contre les minorités aussi bien ethniques que religieuses, dans cette région. Ce serait une erreur d’attribuer, par exemple, la pression exercée contre les minorités chrétiennes, exclusivement comme le résultat de l’émergence du fondamentalisme musulman. L’hostilité arabo-musulmane populaire a, aussi, conduit à des pressions exercées contre des Musulmans non-Arabes, tels que les populations berbères d’Afrique du Nord.


"Alors que ces Juifs et Israéliens qui adoptent des argumentaires anti-juifs le font, habituellement, dans l’espoir de s’attirer les bonnes grâces des ennemis des Juifs, ils reconnaîtront difficilement cette source de leur motivation. Ils prétendront plutôt, en règle générale, que leur position ne fait que refléter une position morale ou éthique bien supérieure.

"Par le passé et encore actuellement, les antisémites ont communément prétendu que les Juifs étaient exclusivement intéressés par leur propre bien-être. Cela a conduit de nombreux Juifs à concentrer leurs énergies sur des causes sociales plus larges, même lorsque la communauté juive souffrait d’une situation défavorisée unique en son genre. Les Juifs qui suivent ce processus n’admettent habituellement pas qu’ils le font pour éviter d’être accusés de chauvinisme ou d’esprit de clocher. Ils prétendront, plutôt, être habités d’un sentiment de justice transcendante et par des préoccupations profondes de vouloir répondre à des besoins universels.

"Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, particulièrement après que fut révélé le programme d’extermination nazi, vers la fin 1942, de nombreux dirigeants juifs américains ont cherché à provoquer une prise de conscience sur la situation tragique des Juifs d’Europe, afin de promouvoir des efforts pour les sauver. Pourtant, ils ont aussi limité leur campagne, par crainte de réveiller la colère du public contre une préoccupation juive centrée sur un problème juif, et ils ont souvent rationalisé cette façon de faire, comme si elle reflétait leur dévotion à une tâche plus hautement patriotique, visant à gagner la guerre. C’étaient, plus largement, des voix non-juives qui ont insisté sur le fait que le programme d’extermination nazi n’était pas seulement un crime contre les Juifs, mais bien un crime contre la civilisation et contre toute l’humanité, et qu’il devait, par conséquent, faire l’objet de la préoccupation de tout un chacun".

Levin observe que: "Durant les soixante dernières années, la communauté juive américaine, dans l’ensemble, a énergiquement adopté une position de soutien à Israël. Cela a été rendu plus facile par le fait que le très large public américain éprouve, traditionnellement, de la sympathie envers l’Etat juif.

"D’un autre côté, Israël s’est trouvé exposé à de nombreuses critiques, dans certains media américains, sur beaucoup de Campus et au sein de courants dominants des églises libérales. Ces segments de la communauté juive qui vivent et travaillent dans des environnements hostiles à Israël, adoptent communément les poncifs anti-israéliens présents dans leur entourage. Et ils insistent souvent sur le fait qu’en se comportant de la sorte, ils font preuve de grande vertu.

"Les dynamiques psychologiques des communautés sous le coup de l’hostilité ambiante expliquent pourquoi, autant à l’extérieur qu’en Israël, le siège virtuel mis en place autour de l’Etat Juif continuera à mener des segments des communautés juives à soutenir leurs assiégeants et à exhorter à une réforme juive de l’intérieur, comme si c’était le plus court chemin pour obtenir un soulagement. Pourtant, la voie qu’ils préconisent n’est pas moins délirante que celle des enfants violentés qui s’accusent des abus qu’ils subissent. Tout autant que ces enfants, ils se destinent psychologiquement à une vie d’abnégation auto-imposée et de misère. Dans le cas des Juifs culpabilisant Israël pour la haine qui est dirigée contre lui, la misère qu’ils cultivent va bien au-delà d’eux-mêmes et, en définitive, elle sape l’existence même d’Israël".

Le Dr. Manfred Gerstenfeld préside le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme

Adaptation: Marc Brzustowski.

[1] Hannah Arendt, Les Origines du Totalitarisme, Sur l'antisémitisme, Le Seuil, Points, p.p. 254-255.

2 commentaires :

Anne juliette a dit…

Je dirais aux juifs de NE PLUS SE CULPABILISER pour le conflit du Proche-Orient, surtout quand, autour de vous, beaucoup de "belles âmes" vous incitent à le faire.
Est-ce que les musulmans d'Europe et d'ailleurs se culpabilisent pour tous les massacres commis sur les chrétiens en Egypte, au Soudan, au Nigéria et pour tous les attentats commis dans le monde entier et en Israël, etc.... NON dans l'immense majorité et la portion infinitésimale qui comprend se fait menacer de mort.
Au contraire, il y a même une partie qui considère que :
- les terroristes du Hamas et du Fatah, ceux du 11 septembre et Merah sont des martyrs et des héros.
- c'est le complot juif sioniste qui est à l'origine de ces attentats et de tout.

Alors que les juifs antisionistes ne se perçoivent plus comme de mauvais juifs et comme des enfants maltraités.

Anonyme a dit…

Ce complexe de culpabilité existe depuis l'accusation des Juifs de déocide, cette accusation a circulé pendant des siècles avec les conséquences que l'on connait.